Je ne suis pas de ceux pour qui lĠexistence dĠune recherche philosophique sĠinsrant dans le cadre de la mtaphysique aille de soi, et je compte mĠen expliquer dans ce qui suit. Nanmoins, il me parat simultanment vident, dĠun ct, quĠun ensemble significatif dĠauteurs et de chercheurs contemporains ont rcemment redonn des lettres de noblesse au genre, dĠun autre ct, que toute tentative srieuse de nier le rle historique de la mtaphysique au sein de la tradition philosophique serait intenable. Je voudrais donc, dans le cadre de cette intervention, essayer de prouver ma bienveillance envers une orientation qui nĠest pas la mienne en prenant en considration, successivement, divers usages de la mtaphysique plus ou moins connus de moi ou familiers, afin de dgager chaque fois la sorte de signification philosophique quĠil convient, mon sens, dĠattribuer lĠexercice de la mtaphysique. La modulation que jĠapporte par rapport au titre officiel de la rencontre est donc double : 1) dĠune part, je me penche sur les usages de la mtaphysique plutt que sur ses applications, afin de ne pas rduire la mise en jeu de la mtaphysique au modle de lĠapplication dĠun corpus thorique gnral des cas ou des domaines particuliers (et ce bien que, peut-tre, il faille reconnatre ce modle un certain privilge naturel) ; 2) dĠautre part, je souhaite examiner, plutt que la seule validit et fcondit de ces usages, leur signification pour nous en tant que philosophes.
Ces quelques mots prliminaires ayant t dits, jĠannonce maintenant les diffrentes tapes de cette rflexion.
Premirement, je voudrais reprendre avec vous, et bien quĠil sĠagisse en lĠespce dĠun lment que dĠaucun pourraient juger acadmique et rchauff, la conception kantienne de la limitation de la mtaphysique, afin dĠexpliquer pourquoi jĠadhre toujours, au moins a priori et un premier niveau, la vue kantienne, de dcrire quelle vision de lĠhistoire de la philosophie cette conception conduit, et de prciser rapidement avec quel aspect des doctrines mtaphysiques analytiques contemporaines la vue kantienne mĠamne ne pas mĠaccorder.
Deuximement, je voudrais vous rapporter deux cas, lis la philosophie des mathmatiques, dans lesquels jĠai lĠimpression de rencontrer spontanment le mode mtaphysique, au sein mme de mon travail.
Troisimement, je voudrais dfinir ce qui est mes yeux lĠusage lgitime de la mtaphysique : expliquer comment il me semble invitable de la justifier et en un certain sens de lĠappliquer.
Enfin, pour conclure, je voudrais prendre lĠexemple de la pense dĠEmmanuel Levinas pour attester la possibilit dĠun usage de la mtaphysique fcond et clairant qui, pourtant, nĠaccrdite pas la mtaphysique dogmatique au sens kantien.
La thse limitative lĠgard de la mtaphysique que jĠai en tte et qui compte pour moi, donc, est la thse kantienne. Voici comment je la comprends et je la rsume.
Une connaissance gnrale vraie de tout objet ne reposant sur aucune autre hypothse que lĠexistence des objets en cause, que leur caractre dĠtant, ne peut tre quĠun nonc universellement valide de la logique. Comme nous prsupposons que nous ne savons rien de lĠitem dont nous traitons, il ne reste que la ncessit logique, en tant que la logique est le noyau inalinable forcment mis en jeu et forcment activ comme composante valide de toute connaissance : le canon assurant lĠentendement de son accord avec lui-mme dans sa forme disait Kant, la forme canonique de la logique des prdicats du premier ordre dirons-nous aujourdĠhui aprs Frege.
La vision kantienne, ce quĠelle a de fort et dĠimportant, me semble alors tre quĠune telle connaissance est dĠun tout autre ordre que la connaissance laquelle nous faisons la plus grande confiance pour nous informer sur la ralit, savoir la physique mathmatique. Le constat kantien sur la mtaphysique me semble, en profondeur, se rduire ou se ramener lĠobservation pistmologique de lĠhtrognit de la logique en tant que seule mtaphysique possible et de la physique mathmatique. Cette htrognit elle-mme consiste en ceci que la physique mathmatique, pour connatre la ralit, fait plus et autre chose que considrer celle-ci comme un rservoir dĠobjets entretenant des relations dicibles dans un langage : elle met en scne un monde dans un cadre mathmatique, et rend toute notion dĠobjet seconde par rapport des tenant lieu mathmatique de la prsentation sensible du monde, introniss comme habitants du cadre en cause.
Il nĠy a certainement pas convergence des opinions philosophiques sur ce sujet. LĠpistmologie analytique part plutt de deux constats qui impliquent une tout autre vision.
Le premier constat, qui est pistmologique en un sens extrmement radical et profond, est le constat du caractre inalinable de la prsomption de rfrence dans le langage, et partant, dĠun positionnement de notre revendication de vrit comme vrit sur lĠen soi. Ce quoi je pense ici est le bref argument de Frege dans Ç Sens et dnotation È, suivant lequel lorsque nous disons Ôla lune est rougeĠ, nous ne parlons pas de notre reprsentation de la lune : sinon nous aurions dit Ôma reprsentation de la lune est rougeĠ. Cet argument dĠune force extraordinaire montre que dans notre usage du langage, la prsomption dĠannexion dĠun rfrent subsistant externe figure dj, est incluse dĠune manire inexpulsable. Il sĠen suit que, si nous nous considrons comme capable de dire le vrai, cĠest forcment au sens de lĠmission dĠnoncs dcrivant des relations entre les subsistants externes indpendants du monde qui sont le cas. Nous sommes toujours dj engags dans une revendication de la vrit qui est celle de la vrit correspondance adresse lĠen soi. Point qui serait la rcusation de toute la construction pistmologique kantienne.
Le deuxime constat, reli au prcdent, est le constat selon lequel notre science ne saurait tre autre chose que lĠlaboration/amlioration/systmatisation de la vrit nave de sens commun dont lĠargument de Frege examin lĠinstant a rendu compte. La thse de cette continuit de la Ôsmantique de la vritĠ de lĠattitude naturelle et commune avec la smantique de la vrit de la science est, par exemple, vigoureusement affirme par Quine.
Au titre de ce second constat, lĠhabillage mathmatique de la physique va tre, dĠune manire ou dĠune autre, minimis, ou, du moins, minimis dans la valeur de rupture que lui attribue lĠanalyse kantienne. Typiquement, pour lĠpistmologie qui voit le jour partir de nos constats, la forme thorique mathmatise de notre connaissance physique ne peut et ne doit tre quĠune construction logique ÔextensionĠ dĠune thorie empiriquement confirme de sens commun. La fonction de la mathmatique est celle dĠune syntaxe ou dĠune bureaucratie, on nie quĠil sĠagisse avec elle de tout autre chose : de la mise en jeu de structures comptant comme ÔcadresĠ, cĠest--dire ne relevant pas de lĠexistant.
DĠun mot, je dirai que, la diffrence de presque tous mes contemporains, selon ce que jĠai pu comprendre, je nĠai jamais pu tre convaincu de la justesse pistmologique dĠun tel ÔcontinuismeĠ. Je reste convaincu que la Ôsmantique de la vritĠ qui convient la physique est forcment tout autre que la smantique de la vrit de la connaissance commune, et dĠailleurs quĠil en va de mme avec la smantique de la vrit qui convient la mathmatique (contrairement une des prmisses du dilemme de Benacerraf). Il me semble mme que la reconnaissance dĠun tel cart va de soi, est parfaitement irrpressible : tel point que je ressens tout lĠengagement de lĠpistmologie internationale contemporaine du ct du continuisme quinien comme une rgression par rapport la sagacit kantienne.
Ce qui prcde ne veut nullement dire que je mconnaisse la force du premier constat, celui que jĠai fait remonter Frege, et qui nous enseigne, au fond, lĠincontournabilit du ralisme mtaphysique Ôau nom de notre ide de la vritĠ. Cet argument est extrmement fort, il me parat en effet peu prs impossible rejeter. Le problme est de savoir comment concilier dans une position philosophique lĠadhsion cet argument et la reconnaissance Ôpost-kantienneĠ de la discontinuit (qui peut en effet sembler le contredire). Je dirai que je ne connais au fond gure de rponse satisfaisante ce problme : je nĠai pas le sentiment dĠen trouver dans les crits des uns et des autres, et je ne prtends pas moi-mme savoir en articuler une.
On peut avoir lĠimpression que je me suis loign de la question de la mtaphysique. Je pense quĠil nĠen est rien, et jĠy reviens.
La thse kantienne prenant acte de la rupture lie la physique mathmatique se formule vrai dire dĠune manire plus prcise, qui est en mme temps une explication de la synthticit du jugement scientifique. La raison pour laquelle nous arrivons des jugements qui mettent dans le prdicat des lments absents du sujet de lĠnonc en physique, selon Kant, est que nous avons soumis lĠobjet aux coordonnes de la structure mathmatique de la prsentation du monde adopte (la varit diffrentiable pseudo-riemanienne de la Relativit Gnrale ou un espace de Hilbert de la mcanique quantique, pour fixer les ides, et bien quĠ ce second exemple sĠassocient une srie de difficults bien connues). LĠinformation produite par la machine thorique incorpore donc lĠinformation enveloppe dans ces structures, dĠo la synthticit. Mais, dans une optique kantienne, la justification du choix de ces structures est une certaine anticipation par nous de lĠtoffe de la prsentation du monde. Anticipation qui consacre lĠobjet dont nous parlons comme un objet non absolument quelconque : un objet apparaissent dans le monde. Notre physique est conditionne dans sa force ÔsynthtiqueĠ par le pari de lĠimagination de la prsentation dans le monde de toute chose, implique dans le choix de la structure mathmatique. Mme lorsque cette structure nĠest pas directement une interprtation de ce qui, dans notre rgime intuitif, sĠappelle espace et temps, elle reste lie leur horizon, elle reste une version sophistique de cette gnralisation de la place et la fonction des formes de lĠintuition que dsigne lĠexpression formes de la prsentation.
On pourrait alors ici, concevoir une sorte dĠadaptation logicienne de cette vision kantienne, qui prendrait la forme suivante : certes, pour arriver des lois non triviales, des lois synthtiques, nous avons besoin dĠautre chose que la simple supposition que nous avons affaire des objets qui sont, des tants. Mais ce supplment de prsupposition pourrait tre simplement ce qui, chaque fois, correspond au choix dĠune logique particulire, lie au souci de rendre compte dĠun aspect particulier de la ralit. On prend la logique intuitionniste pour dcrire non pas la logique de la vrit dĠun monde stable platonicien, mais la logique dĠune enqute scientifique. On prend la logique linaire pour traiter dĠune logique mle lĠaction. On prend la logique quantique pour traiter des objets microscopiques susceptibles dĠinterfrer. Etc.
Il nĠest mon avis pas totalement faux que cette manire de comprendre est une transposition la mode logicienne de lĠenseignement kantien, selon laquelle tout ce qui excde les formules universellement valides vient dĠun plus que nous avons incorpor en tant que prsupposition directrice dans notre dmarche scientifique (un a priori). La diffrence est que cette apprhension nĠenvisage pas la dimension de la prsentation, et dĠune interprtation mathmatique des formes de la prsentation. En accord avec ce qui fut lĠoptique de Carnap, elle envisage lĠa priori comme toujours purement et uniquement logique, et ramne donc la ÒrgionalitÓ de lĠontologie une modulation de la logique et de ses formes. Ce qui est perdu, cĠest lĠide que, thorisant le monde, nous ne nous contentons pas dĠnumrer des proprits relationnelles des objets, nous rapportons aussi les objets des fonds de prsentation pour ces objets, incarns par des structures mathmatiques, et qui possdent rigoureusement le statut de lĠextra-ontologique : les fonds voqus par ces structures ne sont pas quoi que ce soit qui soit, ne sont pas pas telle ou telle entit, tisse elle-mme dĠentits, mais une dimension o placer les entits, purement idale, dpourvue dĠtre, nĠintervenant dans la science que comme un sens auquel tout tant doit se soumettre. Or, il me semble que cette attitude est au cÏur de la physique depuis Newton, et distingue la physique de toute logique, mme si lĠon dmultiplie les logiques en acceptant de les relativiser diverses sortes dĠtants.
Vient maintenant une autre espce de problme qui embarrasse mon rapport au projet mtaphysique. Je peux vrai dire lĠexposer en partant de ce qui vient dĠtre envisag, la pluralisation des logiques. Je viens de sous-entendre que les diverses logiques sont appeles par la diversit des tants. Mais cela nĠest pas si clair. Parmi les exemples qui viennent spontanment lĠesprit, certains correspondent plutt des manires pour nous de nous rapporter aux tants. Ainsi, la Òlogique de lĠenqute scientifiqueÓ que serait la logique intuitionniste nĠest pas une logique pour dĠautres objets, mais la logique dĠun autre rapport aux mmes objets : que lĠon pense au rapport entre lĠarithmtique de Peano et celle de Heyting. On peut dbattre, cet endroit, et un formalisme extrme ferait soutenir que les logiques tant diffrentes, les multiplicits dĠobjets ne sont pas les mmes. Outre quĠun tel idalisme ne conviendrait pas forcment ceux qui veulent faire dpendre les logiques des objets, et pas les objets des logiques, une telle valuation seraient fortement en dlicatesse avec ce que furent lĠhistoire et les penses explicites de la polmique formalisme/intuitionnisme. La logique modale, de mme, ne qualifie-t-elle pas un rapport spcifique aux faits du monde, qui les apprhende sur fond de leur possibilit ou impossibilit, plutt que la logique dĠun autre pan de ralit ?
La pluralisation des logiques, de facto, correspond la plupart du temps lĠeffort pour consigner dans un systme formel un certain mode de rapport aux objets que nous exerons, et dont notre langage ordinaire ou scientifique tmoigne.
Mais ceci nous fait revenir sur un autre grand dbat, qui est, vrai dire, encore un dbat du ralisme/naturalisme avec lĠidalisme, encore un chapitre du lourd livre de cet ancestral diffrend. Regarde comme nous sommes en train de lĠesquisser, la pluralisation des logiques correspond un effort dĠinvestigation et de clarification de nos modes de pense, exprims dans le langage, en tant quĠils enveloppent des modes de justification, dont la mise au jour dĠune logique explicite les critres.
Or ceci donne lieu un dsaccord essentiel concernant la mtaphysique et sa fonction, que je trouve particulirement bien mis en lumire par un passage dĠun article de Jonathan Lowe, dans lequel il critique la critique kantienne de la mtaphysique. Pour lui, cette critique consiste plaider que Ç (É) les thses mtaphysiques concernent en fait non cette structure fondamentale de la ralit indpendante de lĠesprit, mme dans le cas o une telle ralit existerait, mais plutt la structure fondamentale de la pense rationnelle au sujet de la ralit È[1]. Selon Lowe, Kant prsuppose lĠaccessibilit non problmatique dĠune telle structure fondamentale, ce qui est une premire ligne dĠobjection, mais Lowe sĠattache surtout rfuter la conception kantienne comme contradictoire : la structure fondamentale de notre pense rationnelle est forcment son tour une ralit considre a priori comme indpendante de toute conceptualisation qui lĠatteigne, et donc elle nĠa pas de raison dĠtre distingue comme accessible de lĠen soi qui ne le serait pas. Cet argument, dans des versions varies, est au cÏur du Òrejet du dcalage transcendantalÓ qui caractrise la conviction et de lĠattitude de beaucoup de philosophes contemporains. Il sĠagit de nous convaincre quĠil nĠy a que des realia, que de lĠobjectif dchiffrer en vrit, il sĠagit de nous convaincre que la diffrence de principe entre le subjectif et lĠobjectif, qui fut la grande affaire de la philosophie transcendantale, sĠvanouit pour toute considration rationnelle srieuse et aigu. Il nĠy aurait donc pas un type dĠenqute tout fait diffrent de lĠenqute objective : lĠenqute sur les rgles et les notions que nous pouvons dcouvrir en nous en tant que partages, en tant que pice dĠun contrat de la rationalit que nous assumons tous en premire personne.
Je ne parviens pas comprendre comment lĠon peut renier ou dnier cette sorte dĠenqute, et jĠai envie de le dire Ò la FregeÓ. De mme que, je lĠai affirm un peu plus haut, lĠargument frgen selon lequel la revendication rfrentielle de nos discours est inliminable, fait partie de notre rationalit ou mieux de notre engagement rationnel, en tel sorte que tout discours dclaratif pose lĠabsolu de lĠobjectivit comme son corrlat, de mme, toute justification est intrinsquement subjective. Ce que nous appelons une justification, est en effet quelque chose quoi nous nous rfrons comme garantie et fondation de la correction de ceci ou cela : elle renvoie en tant que telle une attestation par Òtout un chacunÓ qui est dĠabord et avant tout personnelle (mme le fait que la justification avance doit valoir pour tous et auprs de tous est quelque chose dont nous avons la certitude personnelle, et cĠest en quelque sorte ce qui la justifie ou la caractrise comme justification). Une justification objective, consistant dans un donn substantiel externe, est une absurdit, tout autant quĠun discours dclaratif qui ne poserait pas de lĠobjectif hors de soi.
Les enqutes subjectives sont simplement les enqutes portant sur la justification. On peut sĠinterroger sur ce qui fait critre pour nous, sur ce qui est rgle pour nous, sur les notions qui sont ncessairement impliques dans tel ou tel type de pense ou de discours pour nous. Et nous cherchons les rponses ces questions du ct de la pense en tant que pense par nous, en revenant lĠexprience, susceptible dĠtre ntre, de penser ceci ou cela dans telle ou telle orientation ou finalit.
Jonathan Lowe dit que les penses de notre rationalit et leur structure nĠont pas besoin dĠtre penses par nous pour tre, quĠelles sont des realia. Dont acte, cĠest juste un cas particulier de lĠargument de Frege, cela rsulte du simple fait que ces penses ont pris le statut nominal dans nos phrases : tout ce que nous voquons, nous lĠvoquons en le prsumant rel. Mais cela ne signifie pas quĠil nĠy ait pas quelque chose connatre de ce qui fait justification pour nous dans nos penses et dans leur organisation : or, pour le dterminer, il ne suffit pas de pointer lĠobjectivit de ces contenus de pense, il faut se rclamer de leur exprience, il faut aborder les contenus en cause en tant que nous les pensons, afin de parvenir prouver ce qui, pour nous, dans lĠaffaire, est directeur et justifiant.
Il nĠest donc pas absurde, mais au contraire invitable, mon sens, de distinguer lĠtude des choses et celle de notre rapport aux choses, et de reconnatre que la mtaphysique au sens kantiennement lgitime nĠest pas la mme chose que la mtaphysique objective telle que Lowe et le courant analytique contemporain sĠefforcent de la pratiquer et de la dvelopper.
Dans la ligne de cette observation, il me semble que certains lments au moins que lĠon peut tre tent de classer dans la rubrique des notions et thses dĠune mtaphysique gnrale dogmatique mritent sans doute dĠtre regards comme des lments dĠune mtaphysique dĠespce kantienne, transpose au plan langagier. Le rapport entre la mtaphysique gnrale et lĠpistmologie me semble dĠailleurs ambigu sous ce rapport depuis lĠorigine. Ou en tout cas depuis lĠge classique : lorsque tel auteur du XVIIme ou du XVIIIme nonce quĠil a obtenu et rdig une Òmtaphysique des infiniment petitsÓ, il ne rapporte pas autre chose que la proposition par lui dĠune pistmologie justifiant leur usage.
En creusant encore, jĠoserais dire que lĠargument de Frege lui-mme, si on le considre avec lĠattention la plus aige, appartient peut-tre au genre ÒpistmologiqueÓ de lĠinvestigation de nos justifications, de ce que nous avons en partage et qui justifie notre savoir pour nous. Frege montre en effet que la revendication dĠun rel substantiel indpendant de nos paroles et de nos penses fait partie de la signification mme de ce que nous disons, malgr que nous en ayons ventuellement. Cette revendication est quelque chose que nous partageons, nous ne pouvons pas sacrifier lĠide dĠun rpondant substantiel externe de notre discours sans voir sĠvanouir tout lĠdifice de la signification. En ce sens, la ÒmtaphysiqueÓ au sens du grand discours sur tout objet quel quĠil soit est enracine dans une Òjustification transcendantale langagireÓ, qui la fait cohabiter avec une mtaphysique Òau sens kantienÓ, sans quĠil soit possible, au fond, de dmler leur rapport, de faire autre chose que les prendre comme superposes. Si je dis ÒcĠest seulement pour nous, selon une structure a priori de notre pense, quĠil y a du rel corrlat de nos noncsÓ, je ne relativise pas ce rel, jĠobserve plutt quĠil appartient au sens du Òpour nousÓ de sa position de le laisser protg de toute relativisation. A vrai dire, il arrive Husserl de dire presque exactement cela, mais je ne sais pas sĠil prend la mesure de la consquence dĠune telle valuation.
Je voudrais terminer ce prambule en dessinant lĠhistoire de la philosophie qui correspond lĠadhsion fondamentale au motif transcendantal kantien qui est la mienne. Je le fais parce que jĠai t sduit et impressionn par la fresque, trouve dans le livre de Frdric Nef[2], dĠune histoire de la philosophie reconstruite suivant la ligne dĠune pense mtaphysique jamais morte, allant dĠAristote Armstrong en passant par les mdivaux, Wolf et Leibniz. Cette fresque sonne juste, et elle regroupe juste titre dans une filiation des auteurs ayant tous essay de systmatiser la conceptualisation du rel en gnral.
Du point de vue de mon critre kantien, cela dit, la ÒmtaphysiqueÓ, au sens dĠun droit que lĠon sĠaccorde penser et dire la structure essentielle de lĠtre sans avoir gard prioritairement au Òpour nousÓ de lĠtre, son mode de prsentation ou aux modes discursifs de notre concevoir, englobe aussi de nombreuses tentatives que Nef classe dans le courant Òanti-mtaphysiqueÓ : par exemple, Hegel, Heidegger, Derrida et Badiou. Le premier pense lĠtre comme processus et auto-ngation dans aucune relativisation, de manire ÒabsolueÓ, le second pense lĠhistoire ternelle du pli de lĠtre et de lĠtant comme ce dans quoi tout se tient, se dfait se donne et se retire, nouveau de manire absolue, en insistant sur le fait que cet absolu prcde, mande et tient la pense, le troisime enveloppe tout tant dans le statut de lĠcart lĠgard de soi-mme, du dchet ou du reste vis--vis dĠun vide ou dĠun espacement originaires, et nous enchane, nouveau lĠabsolu dĠune telle situation, le quatrime donne explicitement la thorie des ensembles comme la structure prsidant tout tant, dtermin par lui comme multiple, et ne voit pas cette vrit non plus comme lĠnonciation transcendantale du comment de notre pressentiment des choses, il lĠentend de manire absolue.
Le point de vue que je dfends ici, jĠy insiste, demeure extrmement minoritaire dans lĠhistoire de la philosophie. Trs peu de philosophes continentaux lĠadoptent (Kant et Husserl point final, en gros). Trs peu de philosophes analytiques le reprennent leur manire (bien que lĠon trouve cette tentation chez plusieurs, comme Putnam, McDowell, Wittgenstein ou Cavell).
Je laisse cette longue mise au point dont je ressens moi-mme le caractre ressassant et ennuyeux, et jĠen viens positivement mes manires de valider, en dpit de ce que je viens de dire, quelque chose comme la mtaphysique. En raison mme de ma distance ÒmthodologiqueÓ avec la mtaphysique, cĠest devant ce que jĠen dcouvre comme une ÒapplicationÓ que la ncessit de justifier la mtaphysique mĠapparat, chaque fois. Je commencerai par deux cas extraits dĠune problmatique de philosophie des mathmatiques.
Le premier exemple, pour moi, est celui de lĠargument que jĠai essay de formuler en faveur de lĠincontournabilit de la philosophie des mathmatiques pour la philosophie, suivant une inspiration que jĠai crue, tort ou raison, platonicienne.
LĠargument est le suivant : la philosophie, je le soutiens, ne peut pas tre autre chose que lĠeffort pour prolonger au champ ouvert de Òtoute choseÓ le type de traitement universel et classifiant que la mathmatique a dvelopp vis--vis de Òtout objetÓ. Un tel discours prsuppose la distinction de la chose et de lĠobjet. En substance, une chose ne se laisse pas qualifier comme objet lorsquĠelle ne se dtache pas bien dans notre pense, lorsquĠelle nĠest pas suffisamment ÒdiscrteÓ, logiquement spare : soit elle plonge avec des frontires vagues dans un fond, un ambiant au sein duquel elle nĠest pas suffisamment, ou pas parfaitement saillante ; soit elle ne sĠoppose pas vraiment de manire frontale au sujet de la pense, elle reste par trop Òde son ctÓ alors mme quĠil la pense ; soit encore, sa ÒconsistanceÓ dpend entirement de la signification et de son jeu. Ainsi, les formes des objets du monde, les vcus, les signifis ou la relation de rfrence (des expressions nominales leur dnotation) paraissent des choses plutt que des objets : cĠest en tout cas tout un travail de plaider avec quelque vraisemblance pour chacun dĠeux quĠil se laisse ramener au statut de lĠobjet. Mais jĠaurais pu prendre des exemples platoniciens, comme la vertu ou la connaissance.
Je lie donc le projet philosophique, trs simplement, la tentative dĠtre systmatique, universel et classifiant, vis--vis dĠun univers de pense o tout nĠest pas objet, mais o beaucoup est seulement chose : comme on le fait en mathmatiques, o, par dfinition, on a inclus dans le contrat rationnel de dpart, en principe, ce quĠil faut pour que les entits en cause soient des objets (et mme si, en fait, lĠpistmologue dira ici que ce statut ne va jamais de soi : il appartient quand mme la discipline de ne pouvoir fonctionner que pour autant que lĠon sĠentend suffisamment, peut-tre provisoirement, sur ce statut dĠobjet).
JĠen dduis une manire pour la philosophie des mathmatiques dĠappartenir toute mise en Ïuvre du projet philosophique. En effet, si jĠai raison dans ma description post-platonicienne, toute philosophie est concerne par la limite de la chose lĠgard de lĠobjet : son opration propre commence au moment o la pense systmatique universelle et classifiante dborde le contexte de lĠobjet pour entrer dans le domaine ou le champ de la chose. Il apparat donc comme essentiel toute philosophie de prendre la mesure de cette frontire, ce qui veut dire, ncessairement, dĠacqurir une vision du domaine de lĠobjet par rapport auquel cette limite se situe ( la frontire duquel elle est installe). Mais ceci nĠest-il pas, dj, une manire de penser philosophiquement la mathmatique ? En tant quĠelle se dfinit comme la poursuite de quelque chose de la mathmatique au-del dĠelle-mme, la philosophie ne peut que thmatiser la mathmatique ou tout le moins son domaine. Le cas dĠune philosophie se faisant vraiment philosophie des mathmatiques correspond alors au cas o, justement, lĠoccasion de cette rflexion sur la limite de la chose lĠgard de lĠobjet, la philosophie sĠattache penser lĠidentit de la mathmatique. Cela mme se dveloppant, selon la rcapitulation que je propose depuis mon exprience propre, selon cinq questions traditionnelles (quid de la dmarcation entre philosophie et mathmatiques, quid du statut de lĠobjet mathmatique, quid de la dmarcation entre logique et mathmatiques, quid de lĠhistoricit de la mathmatique, quid de la gographicit de la mathmatique ?).
Je reviens la question de la mtaphysique.
En prsentant la philosophie comme effort dĠapproche Òcomme si mathmatiqueÓ de la chose, je parais bien la dcrire comme mtaphysique. Une thorie gnrale de la chose quelle quĠelle soit, sans prcaution ou limitation mthodologique, ayant nanmoins lĠallure de la mathmatique, nĠest-ce pas exactement ce qui sĠest appel mtaphysique dans lĠhistoire, y compris la mtaphysique dogmatique critique par Kant ?
JusquĠ un certain point, oui, et je dirais mme quĠil faut ici concder quelque chose de profond et dĠimportant lĠentreprise mtaphysique comme telle. CĠest une attitude fondamentale de la rationalit, inalinable et fconde, que de chercher penser les choses Ò travers la gnralitÓ. Kant fait tat de cette dimension pour expliquer selon quel mcanisme ncessaire nous arrivons aux objets idaux : voulant connatre une chose, nous la regardons comme conditionne dans telle ou telle proprit par une condition gnrale, puis nous essayons de traiter la condition elle-mme en tant que satisfaite de la mme manire, et ainsi de suite. Nous arrivons ainsi, la limite dĠune telle rgression lĠinfini, la condition qui nĠest plus son tour conditionne, laquelle enveloppe, comme factualit fictive, un objet ultime qui est lĠobjet de lĠide. La procdure est typique dĠun ÒenjambementÓ logique largissant une figure de base de lĠobjet en direction dĠune Òentit en plusÓ. Mais sans aller chercher Kant, on peut voquer ici lĠexprience mme des mathmatiques : il y apparat trs souvent comme fructueux dĠenvisager tel ou tel objet, tel ou tel fait, comme cas dĠun objet ou dĠun fait beaucoup plus gnral, en oubliant une part importante de la dtermination de ce fait ou de cet objet. JĠai envie dĠappeler stratgie du foncteur dĠoubli cette stratgie rationnelle, en utilisant un concept de thorie des catgories : le foncteur dĠoubli est celui qui, agissant sur une catgorie dont les objets ont un ensemble de base, rcupre comme image de tout tel objet son ensemble de base (et pour tout morphisme, lĠapplication suppose ingrdient de ce morphisme). Ainsi le foncteur qui, tout espace topologique, associe lĠensemble sous-jacent, et, toute application continue, cette application elle-mme sans gard sa proprit de continuit. Le nom de Òfoncteur dĠoubliÓ exprime bien cette attitude de passage volontariste au niveau de quelque chose de plus nu et de plus gnral, attitude dont la mathmatique dans son ensemble ne cesse de dmontrer la fcondit.
On pourrait alors reformuler la dfinition post-platonicienne de la philosophie que jĠai propose en disant que la philosophie consiste en un effort pour pratiquer la stratgie du foncteur dĠoubli au-del du champ mathmatique lui-mme. LĠimportance de cette reformulation est quĠelle met en vidence le caractre profondment sain et lgitime de lĠorientation mtaphysique si on la prend ce niveau : elle correspond lĠlan mme de la philosophie, bien compris.
Mais il reste le problme suivant : devons-nous penser que ce franchissement de la limite nĠa aucun prix, quĠil est purement libre et triomphant ? Ou devons-nous juger au contraire quĠen tant que tel, il pose le problme de la lgitimit de la prolongation dĠune mthode, et de lĠextension dĠun corpus de vrits, un domaine pour lequel lĠun et lĠautre nĠont pas t conus, par rapport auquel ils ne sont pas a priori justifis ? Si lĠon reconnat le caractre incontournable dĠun tel scrupule, alors on cherchera les conditions et les limites, chaque fois, de lĠextension, et lĠon sĠattendra ce quĠil ne soit jamais possible, au-del du champ de lĠobjet mathmatique, de rester purement et simplement dans lĠactivit et la procdure mathmatiques.
La rflexion sur la notion dĠapplication (de la mtaphysique) intervient ici de manire vidente. Si je prends totalement au srieux lĠide dĠapplication, alors ce que jĠai en tte est lĠinstanciation dĠune vrit gnrale un de ses cas. La vrit gnrale en cause est suppose, en lĠespce, avoir t nonce et gagne au niveau dĠune rflexion sur la chose. Tout dpend alors de comment elle a t acquise. Si elle rsulte dĠun simple transfert de la certitude et la mthode mathmatiques lĠau-del dĠelle-mme, alors on est dans le schma de ce que Kant cherchait critiquer. Pour lui, les seules formes valides absolument indiffrentes au contenu sont les formes logiques, et leur instanciation ne nous procure aucune connaissance intressante. Mais on peut aussi concevoir que les Òlois de la choseÓ, que lĠon sĠapprte appliquer quelque Òcas de la choseÓ ont t tablies par prise en considration rflexive lĠgard de ce quĠest la chose pour nous, lĠgard de sa prsentation, de son sens, de lĠuniversel particulier interne au champ excessif de la chose qui lui revient et lui convient, etc. On a alors affaire un autre type de savoir, qui peut bien continuer tre une ÒtranspositionĠ du style classifiant universel systmatique de la connaissance mathmatique. Kant voyait la mtaphysique transcendantale selon un tel schme, mais cĠest plus gnralement toute philosophie engage dans le projet de transposition tout en ayant le scrupule de lĠbergang (de lĠobjet la chose) qui opre de cette faon. Si une telle vrit mtaphysique sĠapplique, elle en le fait pas comme une vrit mathmatique ou mme une vrit empirique, sur le mme plan quĠelles : la rflexion ayant conduit cette vrit continue dĠtre requise pour dterminer ce qui en est un cas lgitime.
Ce qui prcde suggre de revenir au problme du statut de la logique. Il sĠagit l, en effet, dĠune affaire cruciale. La philosophie analytique me semble avoir dplac le problme de la logique et de sa relation la mtaphysique de deux manires.
DĠun ct, et cĠest, de nouveau, la contribution de Frege qui joue ici un rle central, la logique est conue par la raison analytique comme une logique qui sĠapplique, comme une logique empirique. Elle consigne et rassemble les Òlois de lĠtre vraiÓ, mais cela veut dire quĠelle recle les structures qui nourrissent toutes les vrits factuelles, empiriques. Frege nĠaccepte pas la caractrisation kantienne de la logique comme formelle (id est comme contenant seulement la forme suivant laquelle lĠentendement sĠaccorde avec lui-mme).
De lĠautre ct, la raison analytique estime que, ou dcide que, le canon de la logique du premier ordre est la pense la plus gnrale, celle de la chose selon mon lexique. Dans une vue continentale en revanche, la logique du premier ordre, cĠest juste la mathmatique sans ses axiomes, cĠest--dire que cĠest le mode dĠune pense qui sait dj ceci : que son objet se comporte comme objet logique, comme objet bien dtach de tous les autres (objet lĠgard duquel nous savons dfinir lĠidentit et la diffrence, dira Quine). La logique du premier ordre, cette aune, est simplement la forme mathmatique (sans contenu mathmatique) de la pense de lĠobjet en gnral : elle ne va pas vraiment au-del de la mathmatique, elle reste attache lĠobjet, quoi quĠelle lui te la dimension phnomnologique qui informe la connaissance constructive, ou la connaissance exploratoire de lĠobjectivit corrlative, cĠest--dire de la vraie connaissance mathmatique[3]. Pour la raison analytique en revanche, la logique du premier ordre comme doctrine naturelle de la chose, doctrine que, selon elle, la pense ne peut abjurer, de quoi quĠelle parle, sans se renier comme raison, constitue dĠemble et de faon indiscutable la seule et unique mtaphysique valide : du coup, nous disposons dĠune mtaphysique, nous hritons en quelque sorte une mtaphysique de la rupture analytique. Les problmes de la mtaphysique sont alors simplement ceux de lĠunification des sciences sous la forme de la logique du premier ordre dĠune part, la distinction sur une base purement ontologique entre des rgions susceptibles dĠexhiber des particularits dans le cadre logique par dessus le march dĠautre part (et comme nous lĠavions dj discut dans la premire section).
Deuxime manire dont lĠaffaire mtaphysique se signale dans mon travail : propos de la question du continu.
Ce que jĠappelle la question du continu, faut-il le rappeler, cĠest le problme, soulev ds lĠorigine par les Elates, ayant fait lĠobjet tout prs de cette origine dĠune premire grande synthse par Aristote, indfiniment repris au cours de lĠhistoire et de la philosophie, de cet Òtat de multiplicitÓ trange que nous appelons continu. Le problme de comment nous devons expliciter et caractriser le multiple continu, tel quĠil semble sĠimposer nous ( notre pense, notre intuition ?) lorsque nous voquons lĠespace, le temps ou le mouvement. La question du continu est donc celle dĠun continu substantif, du continu comme nom dĠun certain ÒsubstratÓ en lequel sĠactualise une structure du multiple.
Nous avons une exprience si jĠose dire culturelle de ce continu, consigne par la discipline qui sĠen est occup au premier chef, de la faon la plus technique, et avec les succs les plus flagrants : la mathmatique. Cette exprience a dgag, dĠun ct, une sorte de rponse triomphale, qui reste lĠidentification officielle du continu dans la mathmatique contemporaine : la construction de R par Cantor et Dedekind. De lĠautre ct, elle indique la possibilit de remettre en chantier la thorisation du continu, pour apporter dĠautres interprtations mathmatiques de sa structure : inter alia, on pourra citer ici le continu de Brouwer, le continu de Conway, ou le continu de Harthong-Reeb.
Si lĠon parle du continu avec ces rfrences en tte, alors il faut dire que le continu apparat comme second, comme un Òsignifi de la mathmatiqueÓ, diffrent en cela du discret, qui se montre comme un mode de la multiplicit plus incontournable, attest la fois au ple objectif et au ple subjectif.
Chacun des ÒmodlesÓ du continu que nous venons dĠvoquer, en effet, contient en lui-mme une image de lĠensemble N des nombres entiers, avec la topologie discrte qui lui revient comme trace de la topologie usuelle sur le continu. A des degrs divers, ils sont de plus tous ÒconstruitsÓ partir de ce N sous-jacent. Dans le cas du continu de Brouwer, ce point est fortement marqu, puisque la ÒdonneÓ des nombres entiers est considre comme la donne constructive/intuitive dfinissant la couche premire et inalinable de toute mathmatique. Dans le cas du continu de Cantor-Dedekind, R est fabriqu partir dĠune construction algbrique intermdiaire, elle-mme issue de N travers deux tapes, savoir Q. Dans le cas du continu de Harthong-Reeb, le continu est aussi obtenu comme modification/modalisation de Q (ou directement de Z si lĠon veut)[4]. Le cas le moins net est celui du continu de Conway, qui apparat comme rsultant dĠune dynamique de la naissance des nombres rythme par les ordinaux de la thorie des ensembles, partir de lĠorigine vide : mme dans ce contexte, les ÒpremiersÓ ordinaux de la liste sont les entiers naturels, et parmi les nombres de Conway qui voient le jour ces tapes, apparaissent les nombres entiers, sur les deux bords externes de lĠimmense arbre de tous les nombres[5]. Le discret intervient donc au ple objectif avant le continu.
De toute manire, mme si le continu nĠtait pas construit partir des nombres entiers, quĠil met en scne rtrospectivement comme ensemble discret, lĠhistoire de la construction se laissant apprhender comme celle de la saturation dĠun squelette discret par un substrat continu, la mathmatique contemporaine, comme mathmatique formelle, se droulant usuellement dans le cadre de la thorie des ensembles, requiert la comprhension de ce quĠest le jeu de la dduction dans un langage formel. Ce jeu logico/linguistique tourne sur lĠcartement mutuel des symboles fondamentaux, qui dtermine lĠcartement individuant des termes, des formules et des preuves. Le rseau des identits pertinentes pour le jeu formel, ainsi, apparat comme un rseau discret, discret comme le rseau du jeu linguistique : au niveau des expressions linguistiques littrales, lĠide dĠune proximit arbitraire, de lĠintercalation indfinie dĠentits ÒentreÓ deux entits quelconques nĠa pas de sens. Le discret est donc dj l, au ple ÒsubjectifÓ du langage introduisant toute objectivit.
DĠo lĠide quĠ lĠaune de lĠhistoire de la gense des objets mathmatiques que nous nous racontons nous mme et qui a force de loi leur sujet, ou lĠaune du mode de justification adopte par la communaut mathmatique, qui est en mme temps un mode dĠinscription juridique de ses performances, le discret prvaut, le discret est premier. Le continu est une laboration seconde, qui, la rigueur, nĠÒexisteÓ que comme signifi structural : la mathmatique, comme thorie des ensembles, sait voquer un multiple exceptionnel qui par sa structure restitue les effets et proprits traditionnellement attachs au continu. Mais ce continu a donc lĠexistence relative au formalisme des configurations ensemblistes infinitaires : il nĠest pas attest indpendamment du formalisme comme les entits constructives ou logico-linguistiques. Il est en somme un Òple intentionnelÓ dgag par la machinerie intentionnelle trs particulire quĠest celle de la mathmatique formelle ensembliste contemporaine.
Rien nĠinterdit, si lĠon suit ce mouvement dĠanalyse qui nous est dict par la prise au srieux de la mthode mathmatique, de qualifier le continu de ÒfictionÓ de la pense mathmatique. Alors que le discret de la procession indfinie des entiers ou de la complication indfinie des formes linguistiques est quelque chose avec lĠactualit pr-formelle de quoi tout mathmaticien, comme tout locuteur des langues, est dj compromis.
Pourtant, lĠintressant est que des mathmaticiens refusent cette image relative du continu, et souhaitent au contraire le concevoir comme primordial. Cette vision satisfait mme un de leurs sentiments spontans. Il revient Ren Thom dĠavoir exprim cette vue de la manire la plus frappante. Il parle en effet, dans un article dont je mĠhonore dĠavoir t, avec Hourya Benis-Sinaceur, lĠditeur, de lĠÇ antriorit ontologique du continu sur le discret È[6]. Et il sĠattache expliquer par quel processus le discret survient aprs et sur ce continu primordial : philosophiquement, il le voit intervenir partir de la coupure, ou de la singularit ; techniquement, dans un autre article[7], il essaie de concevoir les nombres, notamment entiers, partir de feuilletages sur le tore.
Cette ide de lĠantriorit ontologique du continu me semble avoir quatre aspects quĠil importe de souligner :
1) Elle est lie une pense mtaphysique du continu, dans laquelle ce dernier nĠintervient pas comme un tant particulier, mais comme une sorte de rservoir pour tout tant. Le continu primordial, que Thom qualifie de ÒmystiqueÓ nĠest pas qualifi structuralement, on peut en nommer des proprits globales comme lĠhomognit (sur laquelle insiste Thom) ou la cohsivit (notion qui se dgage de la tradition aristotlicienne).
2) Le continu y est vu comme origine (il est ce dont mane la gense de toute chose), et comme rservoir de possibles. Cette conception du continu primordial, comme conception mtaphysique, parat hanter lĠhistoire de la pense dĠAristote Peirce. Si lĠon accepte de faire comparatre un tel langage et un tel rfrentiel, la pense du continu est de lĠordre des penses de lĠtre de lĠtant, ou, mme, elle fournit un habillage ou une formulation possible de la pense du second Heidegger (value comme post-mtaphysique par lui, comme mtaphysique par nous) de lĠtre comme ressource et source avant tout tant et indpendamment de tout tant.
3) Cette fonction ou posture mtaphysique du continu lui revient dans lĠesprit de Thom, mais peut-tre plus gnralement dans lĠesprit de nombre de ses adeptes, dans une complicit vidente avec le geste ou la procdure de la physique mathmatique. Le passage est ici le suivant. Depuis Galile et Newton, mais de faon beaucoup plus ouverte et intense dans la contemporanit, la physique explique le monde partir dĠune reconstruction mathmatique de lui, dont un moment essentiel est le dploiement dĠun Òcadre mathmatiqueÓ de ce monde labor partir du continu (dterminable comme complication ensembliste du continu, varit diffrentiable ou espace de Hilbert par exemple). De l, on peut envisager la texture continue employe pour dployer la reconstruction du monde comme son germe, on peut en quelque sorte se reprsenter les grains, amalgames et rpartitions dĠeffectivit physique comme spcifications de lĠordre de la coupure ou de la singularit au sein de lĠambiant continu ncessairement prsuppos, auquel un sens physique et non plus seulement mathmatique est alors donn. Mon sentiment tant, en lĠoccurrence, que le concept de champ est ce dont sĠautorise profondment ce passage.
4) On observe donc un lment mthodologique auquel cette mtaphysique du continu primordial est associ : le refus de la problmatique de la justification et de la donation ou la prsentation de lĠobjet. Thom ne sera pas gn de penser en termes du continu de Cantor-Dedekind son continu primordial, mme sĠil le conoit comme mystique et non technique : il nĠen persiste pas moins regarder la construction de Cantor-Dedekind comme une bonne expression, comme une expression opratoire de ce mythe que nous avons en tte. La circularit assume par notre pense mtaphysique, vrai dire, va plus loin : elle accepte dĠÒidentifierÓ un certain niveau le continu primordial dans ses trois postures, celle de motif mtaphysique, celle de construction mathmatique rpondant au premier, ou celle de continu physique dĠabord Òcadre mathmatique du mondeÓ Le ressort de cette identification est le mode mtaphysique lui-mme. CĠest ce mode qui nous permet de concevoir le continu comme un absolu, et donc de lĠimaginer dĠabord comme motif mtaphysique, ensuite comme signifi mathmatique tmoignant de notre appartenance ce motif comme primordial, enfin comme cadre devenu lment du monde, langage du monde devenu verbe originaire. Si lĠon est mtaphysicien, cette superposition ne pose pas problme, parce que chaque statut exprime la primordialit mtaphysique. Si lĠon est kantien, alors il y a un abme catgorial entre chacune des trois fonctions.
Pour conclure, je voudrais avouer ceci : lĠhistoire des ides est l pour attester que la conception mtaphysique du continu est sans doute celle qui prvaut. Les esprits dans leur majorit refusent dĠaccepter la relativisation du continu son statut de signifi de la mathmatique. Pourtant, symtriquement, lĠaffaire du continu est celle propos de laquelle sĠest le plus vigoureusement mobilise une conscience mathmatique soucieuse de comment et quel titre elle se rapportait aux divers objets faisant sens pour elles. Le continu a motiv la thorie des ensembles, il a inspir Brouwer, il persiste aujourdĠhui tre un horizon pour des recherches ayant un pied dans lĠestimation rflexive et mthodologique des moyens de la mathmatique (comme celles de Woodin, de Feferman, de Lawvere ou de Conway). La cas du continu est un cas exemplaire o lĠenjeu de la dtermination mtaphysique dĠun absolu du continu suscite une recherche quasiment congruente avec lĠvaluation critique de nos droits ÒintentionnelsÓ viser et penser le continu.
JĠen viens maintenant lĠusage du rpertoire mtaphysique os rcemment par Emmanuel Levinas. Je vais essayer de me limiter quelques lments clairs, relativement indpendants de la relation de la pense lvinassienne un dispositif phnomnologique hrit de Husserl et Heidegger.
Je ne vais pas parler, en fait, de lĠusage positif que Levinas fait de lĠadjectif mtaphysique. Prenant le contrepied ÒaxiologiqueÓ de Heidegger, pour qui le mtaphysique est le mauvais, dont on dcouvre la tratrise force dĠattention au bon, lĠtre, Levinas suggre au contraire que le mtaphysique est le bon, capable de nous dtacher dĠun mauvais qui serait justement lĠtre. Dans ce mouvement officiel de sa pense, Levinas dfinit plus ou moins ÒmtaphysiqueÓ par Òqui a trait lĠabsolument autreÓ : lĠexemple canonique tant celui du dsir mtaphysique, prt lĠhomme en gnral par Levinas, et qui serait le dsir dĠun arrachement toute chose, aux coordonnes de lĠtre en fin de compte. Je ne suis pas ce dbat parce que, en lui, la signification kantienne de mtaphysique est oublie : comme je lĠai dit plus haut, lĠontologique au sens de Heidegger est mtaphysique au sens de Kant.
Je vais donc commenter quelques gestes simples de la philosophie lvinassienne en ayant en tte mon concept kantien de la mtaphysique : celui du discours qui traite de toute chose sans tre inform en aucune manire du mode de notre rapport elle, du mode de leur prsentation pour nous.
Je distingue, cet gard, un triple usage de la mtaphysique par Levinas, dans les trois cas afin de caractriser ce quĠil appelle relation thique : Levinas veut dcrire une exprience dĠautrui, une faon de se rapporter lui qui aurait ses yeux une valeur directrice pour toute notre attitude dans lĠexistence et la signification, et dans laquelle sĠinscrirait en particulier toute la comprhension et lĠadhsion dont nous sommes capables lĠgard de lĠexigence morale. Cette exprience nĠen est la limite pas une, elle ne consigne pas un ensemble de vcus qui seraient bien attests chez tout homme : elle pose et met en scne une sorte de mythe de lĠapproche dĠautrui. Ce quĠelle a de phnomnologique est que chacun, en lisant Levinas, est suppos reconnatre un mythe auquel il se rattache comme une sorte dĠarrire-plan clairant de tout rapport ordinaire et impur avec autrui (conomique, intress, etc.).
Mais jĠen viens aux trois ressorts mtaphysiques de la description :
1) Levinas dcrit autrui comme visage comme valant comme un autre que jĠaccueille sans le rduire au mme que je suis, ni me laisse envahir par lui, rsorber en lui.
2) Levinas dcrit la relation au sein de laquelle je suis engag pour autrui, je me mobilise dans ma responsabilit pour lui, comme une relation refusant toute composition dĠune totalit : ds que je sors de mon face face avec celui auquel je me dois pour examiner du dehors lĠensemble que nous composons et qui constitue la totalit de la relation, je perds le sens de cette relation.
3) Enfin, Levinas dcrit mon obligation sans limite envers autrui comme quelque chose qui ne se laisse pas intgrer dans une fresque thorique de ce que je suis et de ce quĠil est, comme quelque chose qui vaut en tant que renvoi plus tard de toute estimation en vrit de ce qui est, comme Òautrement quĠtreÓ, pour le dire au moyen du nouvel adverbe quĠil propose afin de signaler une nouvelle modalit en quelque sorte.
Il me semble que ces trois attendus sont trois utilisations de la mtaphysique dogmatique au sens kantien, permettant de dire quelque chose de non trivial. Elles attestent de la puissance philosophique du Òfoncteur dĠoubliÓ dont je parlais tout lĠheure.
Les catgories de la mtaphysique mobilises sont celles de lĠautre, du mme, de la totalit. A ces catgories sĠajoute une modalit invente partir dĠelles, celle dĠautrement quĠtre. LĠautre et le mme sont des vieilles catgories, dj mises en vedette par Platon. Elles sont bien mtaphysiques au sens de Kant : je peux dterminer tout tant comme mme que lui-mme, et comme autre que tout autre tant, sans savoir quoi que ce soit de cet tant. Le jeu du mme et de lĠautre parat impliqu dans toute pense de lĠtant, travers ceci quĠune identit se dit ncessairement de lui. Si lĠon veut, le troisime terme quĠest lĠun est ici virtuellement prsent.
Comment fonctionne la formulation 1) ? Elle est lĠvidence dans le registre du foncteur dĠoubli : me regarder moi comme le mme, et autrui comme lĠautre, cĠest certainement craser la richesse particulire de chacun de nous sous la distance dĠune redoutable gnralisation. Pourtant, cette formulation parle. Elle dit que, dans le cadre du mythe que Levinas sĠattache construire, autrui perd sa particularit, et prend le sens prpondrant dĠautre : cĠest comme si, lorsque je laisse autrui sĠimposer moi comme visage, il ne restait plus de lui que sa ÒlibertÓ lĠgard du cercle de ma personne et de la poursuite de mes intrts, libert qui le rend autre, et qui met de ct la limite toutes les dterminations communes qui me permettraient de thoriser aussitt un nous pour chapper la rquisition dĠautrui comme ÒfaceÓ sĠtrangeant [Ici, je commente dj la formulation 2)].
La formulation 1) dit aussi que la finalit de rduction de lĠautre par le mme est dshabilite. Cette finalit, Levinas lĠa diagnostique dans un autre commentaire mtaphysique de la situation humaine : dans mes comportements ordinaires, que Levinas ramne travail, jouissance et connaissance, je prends toujours lĠaltrit de lĠobjet auquel je mĠappuie comme une altrit transitoire, qui va sĠeffacer ou plutt cesser de compter selon lĠorientation mme de mon comportement. Ce dont je jouis sĠefface au profit de mon jouir de lui, jouir cĠest mĠenrouler en moi-mme sous le prtexte de ce support de jouissance ; ce que je travaille rend la matire ouvre non pertinente dans son altrit, seule demeure la forme venant de moi et confrant lĠobjet sa valeur dĠusage ; ce que je connais – un trait difficile sur la notion de stabilit en thorie des modles par exemple – devient ce que je pense par moi-mme dans la mesure o je lĠapprends, perd son altrit de contenu venant dĠailleurs qui me dpasse.
Enfin, la formulation 1) dshabilite aussi lĠhypothse de mon absorption par lĠautre, elle exclut que mon accueil de lĠautre devienne mon assimilation lui. Je ne suis, dans le portrait mtaphysique de la relation propos par Levinas, que Òle mmeÓ, mais je dois le rester.
Ajoutons encore quelques commentaires de cette premire formulation. SĠil fallait noter ce comme quoi le mythe de la relation thique me situe, ce serait ex (x=x), en ayant recours au e de Hilbert ; et autrui serait situ comme ex (xa), o la constante a dsigne moi. La possibilit de substantiver partir de la relation dĠidentit, qui est une relation binaire, rsulte de la quantification procure par lĠoprateur de ÒparangonÓ de Hilbert, qui associe un objet gnrique toute proprit dfinie dans le langage. Cette double substantivation est un commentaire de la situation dialogique : la qualification du mme et de lĠautre survient au dispositif pur du face face, envisag depuis lĠentre privilgie du moi. Ce dispositif correspond la structure linguistique constitue par le couple des indexicaux Je et Tu, avec leurs rgles dĠchange. Mais, dans la ÒformalisationÓ mtaphysique du mme et de lĠautre, leur symtrie est annule : le dispositif, nous lĠavons dit, est vu depuis le moi.
Entre le mme et lĠautre, termes mtaphysiques introduits pour la circonstance, Levinas imagine une sorte de tentation dynamique : le mme est tent de ne pas accueillir lĠautre, ou de lĠaccueillir dĠune faon qui lĠassimile ; ou bien, lĠaccueil risque de supprimer le moi comme point dĠentre de la relation (envahissement). Ces destins dynamiques ne se dduisent pas des qualifications mtaphysiques ex (x=x) et ex (xa), elles rsultent de la rintroduction elle-mme infiniment gnralise et stylise dĠaspects de la vie du moi que lĠon connat concrtement (le travail, la jouissance, la connaissance, et, finalement, lĠinfodation lĠautre, lĠimmersion en lui). Ici, lĠlan gnralisant sĠarrte avant le niveau mtaphysique. Cependant, Levinas prend ces supplments comme dj rattachs aux figures gnrales du mme et de lĠautre : peut-tre joue-t-il ici sur le prcdent de la Science de la logique (la dialectique du mme et de lĠautre est une phase du livre 1, le rle du moi y tant jou par la dterminit qualitative de lĠtre l) et de la Phnomnologie de lĠesprit (qui parle de la jouissance, du travail et de la connaissance).
La formulation 2) dclare que la relation thique suppose lĠinterdiction de la totalit. JĠai dit lĠinstant que la totalit tait une catgorie mtaphysique, mais cela ne va pas de soi. Elle ne figure pas historiquement, il me semble, parmi les notions que les mtaphysiciens ont discutes. En revanche, elle est une catgorie de la table kantienne, rattache en tant que telle un type de synthse dans lĠexercice du jugement, dont elle exprimerait le Òmode dĠunitÓ : le jugement singulier. Kant est oblig de procder une mise au point pour justifier lĠintroduction de la rubrique du jugement singulier Òen plusÓ des rubriques du jugement particulier et du jugement universel[8]. La synthse dont parle Kant, dans cette rubrique, semble tre celle qui ajoute la particularit ou la gnralit un contenu prdicatif ; ou, enfin, la singularit, suivant laquelle on ajoute une particularit qui ne manque dĠaucune gnralit. Synthtiser un contenu reprsentatif avec la particularit ne manquant pas de gnralit, ce serait envisager une totalit, totalit qui est en mme temps nom du particulier-gnral comme tel et nom du contenu rassembl par le jugement.
Pour nous, la catgorie de totalit a pris entre temps une valeur minente, devenue centrale dans la rationalit contemporaine, et ce, tout simplement, par le biais de la thorie des ensembles. La thorie des ensembles est, simultanment, le cadre dans lequel sont conues et tudies toutes les structures mathmatiques susceptibles dĠintervenir dans la reconstruction scientifique du monde, et, comme mtathorie de la thorie des modles, le cadre dogmatique dans lequel se dploie ce qui est devenu, de faon plus ou moins explicite, le paradigme pour la comprhension de la vrit et de la connaissance ( la suite des travaux de Tarski).
Levinas, la suite de Rosenzweig, diagnostique une consquence lourde du simple fait dĠadopter le point de vue de la totalit. A un premier niveau, on serait tent de dire que le point de vue de la totalit interdit le privilge phnomnologique du pour soi, du sujet transcendantal pour lequel seulement il y a ceci ou cela, et qui, donc, sĠexcepte de la totalit. De fait, Levinas indique de faon rcurrente, dans son Ïuvre, quĠil comprend le projet transcendantal comme le projet de sĠopposer la mise en Ïuvre omni-rcupratrice de la totalit.
Cependant, dans le contexte de la description mtaphysique, ce qui est perdu si je passe la totalit, cĠest dire si je regarde le Je et le Tu, ou le mme et lĠautre, comme des instances du un, comme des cas dĠune totalit (celle de lĠhumanit ou celle du monde), je perds le face face, avec lĠintrigue que la formulation 1) tentait de dcrire. Je dois me rattacher un mythe suivant lequel jĠai accueillir un autrui parangon de lĠaltrit pour entendre la signification de lĠexigence morale : ds que je passe ct ou en dehors pour composer avec lui et moi une totalit, je bascule dans lĠvaluation thorique de notre systme, et il ne me fait plus face.
Ce qui nĠa pas t dit, jusquĠici, dans la restitution propose des ides de Levinas, cĠest que mon accueil non rducteur ne se laissant pas envahir est dtermin par Levinas, en termes plus prcis que cette premire formule quasi-mtaphysique : il est dtermin comme don, obissance, rponse la demande, coute (cette liste nĠpuisant pas ce dont il sĠagit). Au lieu de la ÒdynamiqueÓ dĠabsorption-rduction conflictuelle que lĠon imagine entre les objets formels du mme et de lĠautre, un autre registre de rapports. CĠest aussi un enjeu de savoir comment le dispositif mtaphysique doit tre qualifi, pour rendre compte de la signification morale, qui est le but de Levinas.
Mais il faut encore commenter la formulation 3), que jĠappelle Òultra-mtaphysiqueÓ, dans la mesure o elle outrepasse le rfrentiel mtaphysique : constituer lĠexpression autrement quĠtre, cĠest, certes, mobiliser deux notions mtaphysiques (autre et tre), mais cĠest, en mme temps, sortir du cadre de toute pense mtaphysique en prtendant sortir de lĠtre. La mtaphysique telle que nous la comprenons, en effet, est toujours thorie gnrale de ce qui est, des tants. Elle peut penser des tants minents ou exceptionnels, drogeant certaines proprits ou lois de lĠtre, mais elle ne peut pas concevoir Òautrement quĠtreÓ. A lĠaune de la logique, autrement quĠtre est dĠailleurs purement et simplement paradoxal : il nĠy a rien qui fasse exception lĠtre, parce que, dans Òil y aÓ figure dj lĠtre. La formule [$x ŻExiste(x)] ne peut pas recevoir un sens [autre que relatif : dans tel champ large de lĠtre, il y a des objets qui nĠappartiennent pas une strate plus restreinte de lĠtre].
Pourtant, selon Levinas, nous avons besoin de prendre en considration la modalit autrement quĠtre pour comprendre notre manire dĠtre requis par autrui, par le visage. Dans la relation thique, je suis affect par del toute dtermination pistmique dĠautrui, toute faon de le situer dans lĠarrangement gnral de lĠtre. Laisser une de ces dterminations valoir, cĠest surseoir lĠappel que je reois, que jĠprouve, auquel si jĠprouve la relation thique jĠai dj commenc de rpondre. La prise en vue pistmique dĠautrui est obstacle mon Òpour autruiÓ qui ne reoit le visage que comme appel, demande, parole de matre, dtresse secourir. Levinas exprime ce ÒblocageÓ du mode pistmique en disant quĠautrui vaut pour moi comme dchirure de tout ordre ontologique susceptible de lĠaccueillir et dĠouvrir la place ma connaissance : il vaut Òautrement quĠtreÓ. Dans la relation thique lĠenglobement universel de lĠtre perd sa pertinence.
Le langage ultra-mtaphysique, certains gards, exprime simplement lĠirrductibilit de la force dontique la force dclarative ou constative : il dit quĠautrui vaut comme un ÒTu doisÓ, et que le sens dĠun ÒTu doisÓ est mal transcrit lorsque jĠen fais la dclaration dĠun tat de chose. Et lĠon retrouve ainsi les thses philosophiques classiques de Hume, Kant ou Wittgenstein sur la transcendance du devoir : on ne dduit pas lĠtre du devoir tre, lĠimpratif catgorique ne peut pas sĠappuyer sur la construction cognitive de la nature, ou encore notre ide du bien absolu est telle que la lecture du livre entier dcrivant le monde et ses lois ne nous aiderait pas le dterminer ou le poursuivre. Cette dette ou cette filiation, Levinas la reconnat ou pourrait la reconnatre. Mais il ajoute ceci quĠautrement quĠtre comme modalit investit autrui, que lĠultra-mtaphysique requalifie ce qui compte originairement comme tant et cesse de pouvoir lĠtre cette aune. Levinas utilise le langage de lĠultra-mtaphysique pour exprimer la superposition de la transcendance du devoir et dĠautrui comme position (position dans le langage et lĠexistence, en face de moi selon une Òtopologie thiqueÓ) : cette superposition ÒmythiqueÓ est, selon sa phnomnologie, le fondement de la signification morale et de la notion de devoir Òpour nousÓ.
Je voudrais maintenant rapporter cet usage de la mtaphysique un enjeu gnral concernant celle-ci : il me semble que ce que commet Levinas, cĠest un usage interprtatif de la mtaphysique. Il suit le chemin du Òfoncteur dĠoubliÓ, pour regarder depuis la distance extraordinaire des prdicats de la mtaphysique hgliano-platonicienne la situation concrte du Tu faisant face au Moi. Et le discours tenu en termes de ces prdicats lui sert faire comprendre et dcrire le sens de la relation thique du Moi au Tu, en lequel rside ses yeux le secret de la signification morale. LĠide nĠest donc pas tellement dĠappliquer moi et mon congnre des rsultats thoriques dvids dans une formalisation des relations entre le mme et lĠautre, mais dĠinterprter ma situation devant autrui en termes de ce langage hypergnralisant, de dgager distance de la richesse des dterminations qui mĠindividuent et qui individuent autrui ce qui fait valoir autrui comme celui envers qui je suis originairement oblig.
Ajoutons encore que, dans cet usage interprtatif de la mtaphysique, on ne sĠinstalle pas de faon rigoureuse et exclusive au niveau dĠabstraction impliqu par le registre mtaphysique : ainsi que nous lĠavons vu, Levinas est prt faire intervenir des notions ÒintermdiairesÓ, comme le don, lĠobissance, la demande, lĠenseignement. Chacune dĠelles, selon une circularit usuelle dans les affaires interprtatives, doit dĠailleurs tre pour une part redfinie en termes du rfrentiel mtaphysique pour tre correctement comprise dans son emploi lvinassien. Mais il nĠest pas question dĠentrer ici dans le dtail de tout cela.
Je voudrais conclure en essayant de rebondir, partir de cette prsentation du cas Levinas, vers deux commentaires se rapportant, je crois, aux dbats de lĠpistmologie analytique et de la mtaphysique analytique contemporaines. Mme si je prends le risque de ne pas les avoir bien comprises, je voulais tout de mme donner acte de mon effort pour en apprendre quelque chose.
Un premier commentaire porterait sur ce que je comprends et ressens, tort peut-tre, comme le dbat principal de la mtaphysique analytique au sujet de lĠaffaire modale. Ce dbat, pour ce que jĠentends, oppose le ralisme modal de Lewis, la conception minimaliste des vrifacteurs des noncs modaux soutenue par Armstrong. Si, en substance, le premier comprend la modalit comme ce qui est le cas dans des mondes parallles que nous devons concevoir comme effectifs exactement au mme titre et sur le mme rang que ÒnotreÓ monde rel (au nom de son principe de dmocratie), le second en revanche cherche dterminer les conditions de vrit des noncs modaux sans faire intervenir autre chose que le monde ordinaire.
On comprend la motivation qui anime chacune des positions. La seconde optique correspond au sentiment vident que le monde rel est le seul dont nous ayons lĠexprience, avec lequel nous ayons la mmoire dĠinteractions : en telle sorte que si nos noncs modaux ne trouvent pas de points dĠappui en lui, ils paraissent vous lĠindpendance et au flottement absolus, cĠest--dire lĠabsurdit. La premire optique, de son ct, prend acte du fait que nous formulons des noncs modaux, et que ceux-ci semblent ne pas pouvoir tre compris autrement que comme prenant en considration des mondes parallles. A cet endroit, certains peuvent penser faire comparatre la spculation physique du plurivers comme arbitre. Ici, la mfiance kantienne suggre que ce qui est conceptualis dans le contexte dĠun modle mathmatique de la ralit ne peut jamais concider avec la pense spculative du possible mtaphysique : dans le premier cas, et pas dans le second, la diversit des cas est contrl par un ou plusieurs ÒparamtresÓ, objets mathmatiques donnant la mesure relative de ce qui est pris en lĠoccurrence comme le possible. Mais fermons cette parenthse qui ne correspond pas au fond du commentaire que nous cherchons apporter.
Ce commentaire est simplement le suivant : la difficult associe la vision lewissienne tient lĠinconsistance de la pense ÒpanoramiqueÓ des mondes parallles quĠelle appelle. Si nous acceptons lĠeffectivit simultane des mondes parallles, alors il nous est impossible de nommer lĠenglobant qui les rassemble, de comprendre lĠintervalle qui les spare ou la dimension o ils se placent. Il ÒdevraitÓ sĠagir dĠune ralit de type suprieur, mais la notion de totalit du rel a dj t totalise dans la conceptualisation de chaque monde. On est donc amen penser un rel qui se totalise deux niveaux et de deux manires, ou qui se diffrencie en une multiplicit de cas de son tout sans que ces cas puissent tre situs dans un rel commun. DĠune manire ou de lĠautre, cette pense est inconsistante. Une faon de le dire est dĠobserver que lĠintervalle entre deux mondes parallles devrait relever dĠautrement quĠtre : si jĠaccorde de lĠtre au monde A comme tout de lĠtre ainsi quĠau monde B comme tout de lĠtre nouveau, la distinction de A et de B veut la fois que leur intervalle soit, quĠil corresponde un aspect de la ralit ou de la mtaralit, et quĠil ne puisse pas tre compt comme tre effectif, puisque cela forcerait lĠinclure dans un monde.
Cette observation extrmement simple nous rappelle que la pense modale est une des manires dont la conceptualisation humaine excde lĠtre, ainsi que cĠest bien connu dans la tradition philosophique, il me semble. Strawson, ainsi, la cite ct de la pense mathmatique (des idalits mathmatiques) comme reprsentant typique de lĠanempirisme congnital de la pense humaine[9]. Un lvinassien dirait que la pense modale du possible radical est secrtement indexe sur lĠintrigue thique, et que lĠintervention en lĠtre dĠautrement quĠtre y trouve son principe : cĠest dans la mesure o jĠprouve ma dtermination devant le visage comme inspire/motive autrement quĠtre que je conois mon pour autrui comme impossible ranger dans la logique de lĠtre. Cette impossibilit classiquement reformule comme contingence de ma dtermination pratique (bien que cette reformulation perde sans doute une part substantielle du sens quĠelle reprend) et ouvre de la sorte sur la pense des mondes parallles. La pense de la contingence du monde, ou celle lie de la cration du monde, la pense vertigineuse et intenable du Òil y aÓ originaire alors quĠil aurait pu ne pas y avoir dĠÒil y aÓ [je pense ici la clbre question de Leibniz] peut aussi tre cite comme lie lĠhorizon thique dĠautrement quĠtre (et Wittgenstein la rapproche en effet de la pense du bien absolu].
La position armstrongienne, par comparaison, semble infiniment plus confortable, puisquĠelle nous vite toute cette systmatique troue dĠinconsistance. Mais elle nĠest pas honnte lĠgard dĠun geste conceptuel que le langage accomplit et assume de facto, tous les jours et sans culpabilit. Notre fonction autrement quĠtre est implique dans notre discours du monde, et convoque autour de celui-ci le foisonnement des mondes parallles accessibles. Sans que jĠaie examin dans le dtail les solutions armstrongiennes, il me parat douteux a priori que sa reconstruction respecte notre emploi du langage modal.
Mais le ralisme modal lewissien nĠest pas plus acceptable, dans la mesure o il passe sous silence lĠexcs et le vertige : il nous raconte lĠhistoire de la pluralit des mondes comme si elle tait acceptable sans problme en tant quĠhistoire ontologique.
Mon second commentaire porte sur la dfinition par Quine de lĠpistmologie naturalise, dans lĠarticle ponyme. Comme chacun sait, Quine dfinit cette nouvelle pistmologie comme lĠexplication naturaliste (scientifique ordinaire, donc) du rapport entre lĠentre de stimulation sensorielle et la sortie ÒtorrentielleÓ constitue de discours sur le monde, avant toute chose de thories de ce monde. DĠun ct, il pointe avant tout examen scientifique lĠexcs de la sortie par rapport lĠentre, de lĠautre ct il fixe comme objectif lĠpistmologie naturalise de rendre raison de cette disproportion, dans les termes du schma ncessairement causal quĠelle doit apporter en tant que science.
Ce qui me frappe est que Quine, en lĠoccurrence, dcrit la situation de lĠhomme dans le monde en termes dĠentre/sortie. LĠhomme – le sujet, lĠorganisme – est ramen a priori lĠabstraction dĠune bote (dĠun ensemble convexe born, disons) dans laquelle de lĠinformation entre et de laquelle du discours sort. Cette description abstractisante parat, de prime abord, la mme que celle du computationnalisme reprsentationaliste classique : lĠesprit est une bote noire qui traite de faon logico-calculante une information sensorielle toujours dj traduite en vecteurs symboliques, et qui produit en sortie des propositions, qui seront traduites en comportements. Le partage de ce schme de lĠentre-sortie (qui provient de la psychologie behaviouriste, jĠimagine) nĠest gure surprenant, puisque, ce que dcrit Quine sous le nom dĠpistmologie naturalise semble peu diffrent des sciences cognitives : seulement, alors que ces dernires acceptent, jusquĠ nouvel ordre, de concentrer leur effort sur la cognition de base, lĠpistmologie naturalise parat correspondre une science cognitive de la cognition leve.
Le schme de la bote avec entre/sortie, est, si lĠon veut, un schme mtaphysique rendant compte de lĠesprit ou de la connaissance en termes de concepts ÒpresqueÓ applicables nĠimporte quoi. Pas tout fait, nanmoins, puisque ce schme mobilise tout de mme la topologie de lĠintrieur, de lĠextrieur, et du franchissement de la frontire dans les deux sens. En termes kantiens, on dirait que la formule conceptuelle utilise passe par une relativisation un Òmode de prsentationÓ ayant inclure un minimum de topologie (lĠespace euclidien ferait lĠaffaire, bien sr, mais on pourrait se passer de lui). On a donc affaire la mthode du Òfoncteur dĠoubliÓ (puisquĠil y a tentative de comprendre la cognition partir dĠun schme puissamment gnralisant), mtine dĠun minimum de prise en considration kantienne du mode de prsentation des tants (puisquĠil y a mention implicite dĠune topologie). Ce dernier point, cela dit, pourrait tre contest : on dira que, puisque lĠinformations sensorielle est suppose traduite symboliquement, et puisque la sortie est conue comme propositionnelle, la topologie de lĠintrieur et de lĠextrieur peut tre oublie. La machine comme laquelle est reprsent lĠesprit serait alors une machine seulement logique. Le dbat sur ce point est un aspect du dbat opposant les paradigmes computationnalistes et dynamiques, il est moins trivial quĠon peut le supposer.
Notons au passage que la philosophie de lĠesprit attache au modle computo-reprsentationnaliste se prsente volontiers comme mtaphysique, et dĠailleurs, comme lĠa trs bien montr Pascale Gillot dans son livre, a repris incroyablement les arguments de la mtaphysique de lĠge classique. En fait, la philosophie de lĠesprit illustre excellemment cette tendance de lĠpistmologie analytique lĠautorisant se raliser comme mtaphysique : fonder une discipline et la rattacher une thorie mtaphysique incluant le traitement quĠelle propose de son objet comme cas, ce serait la mme chose.
Mon but, nanmoins, est de comparer toute cette dmarche avec ce que nous venons de voir chez Levinas. La description de la situation humaine en termes du mme et de lĠautre nĠa-t-elle pas quelque chose dĠanalogue la description Quinio-computationnaliste en termes dĠentre/sortie ? Deux diffrences sautent aux yeux :
1) Les catgories du mme et de lĠautre sont plus traditionnelles.
2) Les fonctions entre/sortie relient lĠhomme (le mme chez Levinas) avec le monde, cĠest--dire ce qui est encore le mme (pour lĠhomme) chez Levinas, et non pas lĠautre.
A ct de cela, on pourrait retrouver de la similitude en vertu des deux considrations suivantes :
1) Comme pour le cas de lĠentre-sortie, il y a dbat et problme pour savoir si une topologie nĠest pas implique dans la mtaphysique lvinassienne (lĠautre est ce qui donne lĠextriorit, lĠautre se prsente comme hauteur, etc.). JĠai dbattu de cette difficult dans Ç Levinas et la question de lĠespace È[10].
2) On trouve chez Levinas une peinture mtaphysique de la relation que les sciences cognitives ont en vue, en un sens, avec la boucle de la subjectivit-athe[11]. Seulement, il la considre comme une vie du mme dans laquelle celui-ci sĠexcepte comme jouissance. Faut-il dire que dans la vue computationnaliste le mme sĠexcepte comme logique, ce qui introduirait une parit ?
Sur ces quelques rsonances comparatistes, je mets un terme la rflexion conduite dans cet article.
[1]. Cf. Revue de Mtaphysique et de Morale, nĦ 4, 2002, p. 461.
[2]. Cf. Nef., F., QuĠest-ce que la mtaphysique, Paris, Gallimard, 2004.
[3]. Cf. Salanskis, J.-M., Philosophie des mathmatiques, Paris, 2008, Vrin.
[4]. Cf. Harthong, J., Ç Elments pour une thorie du continu È in Astrique, 109-110, 1983, p. 235-244 ; Ç Une thorie du continu È, in La mathmatique non standard, Barreau-Harthong d., Paris, Editions du CNRS, 1989, p. 307-329 ; Ç Le continu et l'ordinateur È, in L'ouvert 46, 1987, p. 13‑27.
[5]. Cf. Salanskis, J.-M., Ç Le destin du modle de Cantor-Dedekind È, in Le Labyrinthe du Continu, J.-M. Salanskis & H. Sinaceur (Eds), Paris, Springer France, 1992, p. 190-212 ; republi dans Le temps du sens, Orlans, Editions Hyx, 1997, p. 149-171.
[6]. Thom, R., Ç L'Antriorit Ontologique du Continu sur le Discret È, in Le Labyrinthe du Continu, Salanskis J.-M. & Sinaceur H. d., Paris, Springer-France, 1992, p. 137-143.
[7]. Ç Une dfinition continue du nombre È, RCP Strasbourg, 1989.
[8]. Ref.
[9]. Ref.
[10]. Ref.
[11]. Ref.