Sonnets

(par Jean-Michel Salanskis)

Incipit

La forme du sonnet me demande un rallye,

Ordre auquel mon passé me rend accommodant.

Peu avant bleu-jay way (l'indécise folie)

J'entreprends ces travaux, scripteur outrecuidant.

 

Au projet des tercets lentement je me plie

Cependant qu'incertain je cherche mon mordant

Au fil de ce quatrain. Mon désir s'anoblit

Fier d'exhaler ici son fortuit excédent.

 

Sous cette ancienne loi le discours se délie

Tolérant que s'impose une phrase accomplie.

Sonnet clos, tu conviens aux séries de mon âme,

 

Près de toi ma pensée, heureuse, s'abolit!

Mon esprit, d'alexandrins lecteur, te déclame,

Enclin à te poursuivre et féconder ton lit …

Après la cène

Plus funèbre est le temps qui fait venir ce vers.

Neige des mots perdus, soupirs des temps frivoles,

J'aspire à vos frissons que donnait ton hiver!

Mais l'instant tortueux finalement s'envole …

 

Comme autrui j'ai le cœur las d'une vie sévère,

Etrange résidu d'une agitation folle ;

Avant-hier en effet mon élément pervers

M'orientait vers les soirs aux complexes alcools.

 

Mais je ne restai pas à ce banquet divers,

Du jour au lendemain je lui devins advers.

Il est voulu qu'on ne calcule pas le prix

 

Du chapitre achevé lorsqu'il est recouvert.

Il suffit de pouvoir, par la langueur surpris,

Inviter sa mémoire à l'amour du revers.

Saut du lit

L'heure est mince, un air neuf agit sur le cerveau

Je suis tombé plus tôt sur le cadran majeur.

Aurai-je encore le goût d'affalements nouveaux

Moi qui avant le ciel montre de la vigueur?

 

Pourquoi, futur, m'es-tu fatal, comme un niveau

Sur qui je règle instant après instant mon cœur?

Pourquoi suis-je chargé d'enrouler l'écheveau

Redoublant d'un contrôle épuisé le malheur?

 

Ne sais-je pas pourtant saisir la bonne brume,

Du matin que je croise apprécier la saveur?

Je suis également celui qui par faveur

 

Profite du possible, et du gai qui se hume …

Alors ne geins pas trop, partisan de la vie,

Sur le jeune hasard qui ce jour te convie.

Das Kapital

Néo-capitalisme aux luisantes bagnoles,

Monde neuf des premiers supermarchés bleutés,

Qui n'as tu pas soûlé plus fort qu'aucune gnôle?

Et de l'amour de toi qui peut se dégoûter?

 

Vous prisez du disco la vibration fofolle

Ou bien vous tressaillez de votre esprit futé

Au moindre accord cinglant de ce bon rock and roll …

C'est lui que vous aimez toujours en vérité,

 

Le colosse englobant la variété des danses!

Chacun choisit l'aspect propre à sa convenance

Pour rendre grâce au dieu, système illimité,

 

Clef du grand souvenir, hélas déjà morbide,

Mais pour longtemps seigneur de nos âmes bifides.

Je mêle à ce savoir mon discours excité.

Misogynie

Est-il sensé d'aimer si les femmes sont tristes?

Notre pouvoir de leur améliorer la vie

Est-il mort si le sexe est sans règle puriste?

Dors-tu content, Sigmund, et ton fâcheux avis,

 

Est-il suffisamment l'unique qui existe?

Victimes d'un trajet dont nulle ne dévie

Elles font le malheur pour nos yeux qui assistent.

Nous ne simplifions pas leur pénible survie.

 

D'aucun bon avenir nous ne sommes auteurs,

Etrangement réduits à vainement séduire,

Emoustiller parfois, peut-être ne pas nuire,

 

Cependant que périt le vœu procréateur.

Faut-il, pour qu'à nouveau l'après-midi soit belle,

Leur enseigner l'horreur, que nous sommes mortels?

Utopia

Les noms sont un multiple émoi re-traversé

Leur fracas oscillant m'endort aux crispations.

Je tiens un gouvernail encor controversé

Vers l'île d'un mouvant système d'émotions.

 

Si l'on méprise enfin le geste de blesser

Si la cruauté sombre, et ses incantations,

En tant que jeu borné de la vie affaissée

On verra commencer une autre vocation.

 

Les sujets pâliront devant le vrai problème,

Etonnés d'observer leurs moments minuscules.

Or je crois que l'esprit qui vers le temps bascule

 

Accueille du sublime un plus vaste noème …

C'en est assez je dis du confort de vos guerres,

Songez à découvrir le prix du délétère!

Las

J'ai le corps égaré par sa longue fatigue

Il boîte et il s'écroule, asséché de figures.

Aucune fantaisie à propos ne l'irrigue

Aucun mot ne se dit en lui qui le rassure.

 

De l'effort de comprendre ai-je été trop prodigue,

Inféodant mon œil aux idéations pures?

Serais-je simplement au-delà de mes digues

En ce soir fatidique où mon sang est obscur?

 

Il faut laisser son âme imaginer un train,

Le voyage au passé des hommes transportés ;

Composer de la sorte une intrigue avortée …

 

Mes nerfs après cela ne seront plus contraints

Une heure libérée invitera mon corps

Au plaisir accepté d'un engagement fort.

Ode À la Nature

Addition de bosquets de prés de ciels marins

Diversité muette, offensante Nature!

Cerné par toi, logé dans un de tes écrins,

Je m'attarde au récit de tes lois, que j'endure …

 

Comment sous ton empire, à tes rythmes astreints,

Avons nous édifié l'essentielle césure?

Car ce n'est plus, je crois, ton cœur que l'on étreint,

Lorsque l'œil au-delà des vitres se rassure.

 

Cependant sous maint nom ton odeur nous tourmente,

Et la pluie interroge à loisir nos faiblesses,

Et le vent se gaudit de nos destins qui cessent.

 

Sans vérité sans fin ta force nous aimante

Au moyen de nos mots, qui nous ont séparés,

Mais disent le théâtre inquiétant des marées …

Ducasse

Faux romantique, auteur de contradictions brèves,

Je me donne mandat pour dire ton succès!

Car tu m'as aspergé de fictionnelle sève,

Et pour moi ton grimoire a frayé des accès.

 

Mage des mots bleutés, du nouveau qui s'élève,

Des mondes définis par les choix désaxés,

Sombre législateur de cette intime trêve

Où le sentiment naît d'être à froid ressassé,

 

Fileur méticuleux du nom de ton héros,

Fragile installateur de tes versets moraux,

Accepte dans ta mort mon innocent hommage!

 

Nous écrivons toujours dans nos diverses chambres,

Menacés par ta ville et ses bruyants carnages,

Entre la rue Vivienne et le square Delambre.

Orgueil

Tu infliges le goût amer du recul pris,

Après trop d'orgueil sale à ceux que tu crois tiens.

Tel est ton vieux système, à quelle école appris?

Et sans doute à tes yeux vaut-il ce qu'on obtient.

 

C'est, ne crois-tu pas, peu conjurer le mépris

Que mérite à nos yeux ce qui donc se maintient :

Le vœu de triompher de rivaux entrepris,

La rage d'y échouer lorsque tu te contiens …

 

N'espère pas ici d'argument saisissant,

Pour asphyxier le crime en ton cœur mûrissant.

Tu ne pourras quitter le défaut qui t'afflige,

 

A moins de t'affaiblir, te briser sous le monde,

Aimer d'Eros inquiet le non-sens qui abonde …

Alors s'inverserait le sens de ton litige.

Anti-sexe

Tu veux être apaisé glisser entre les gouttes

Du sexe aux conclusions de nette déchirure …

Tranché ton monde alors que rêvait ton écoute,

Au bord de se complaire et noyer la blessure ;

 

Accusé ton état dans la commune joute,

Où tu comptes gagner le corps qui te rassure ;

Ridé donc le bonheur exempt d'un jouir de toutes

Et confronter la vie avec ce naïf mur.

 

Mais au sud se refait ton audace agréable,

Et parfois se dément ton jeune automatisme,

Assez pour effriter le vrai du pessimisme.

 

Ton séjour recommence à peu près sur du sable,

Une occasion te prouve à l'envi que tu fuis

Loin des seins des vagins, où le blond fatum luit.

Désolation

Savez-vous comme moi que c'est archi-foutu?

Votre œil à la fenêtre a-t-il fait ce constat

Ruinant les supposés bonheurs de vos statuts?

Maintenant vous suintez le pire sur le tas.

 

Pourtant n'étiez-vous pas dès longtemps abattus,

Tous les dés en faveur du monde et ses états

Contre vous sont tombés, au bout d'un angle obtus,

Bien avant ce présent qui rien ne vous ôta.

 

C'est tout ce qui vous reste, aujourd'hui, la vision

Qui détruisit le sens et vous obscurcit l'âme.

Ce souvenir acide est votre seul Sésame,

 

Ouvert sur le vieux truc triste la dérision …

Ecarte, cher artiste, éloigne les frontières

Du plus affreux moment, pour qu'on y puisse une ère!

Après le Désir

Serai-je là, pour mon excès mélancolique?

Pour mon jour alangui de pleurs définitifs,

Tendu par un brillant désir anorexique?

M'observerai-je alors m'effondrant sans motif?

 

On veut tenir sa main devant chaque Amérique,

Etre bien irrigué par les états plaintifs,

Quand le temps donne et frappe, abrège l'idyllique …

On voudrait escorter l'émoi le plus hâtif.

 

C'est heureux car ainsi notre contour est vague,

La lune a de l'effet sur notre sombre essence.

Nous limitons l'erreur, au prix de l'indécence.

 

Devinant la mer l'homme avec conscience drague,

Il dégage à la fois le drame et la terreur,

Expert moins déphasé, d'en tirer du bonheur.

Hors là

Et pour toutes les fois je dis : le monde est loin.

Il est, il me supporte, il me fait subsister,

Mais “mon objet” — voilà bien ce qu'il est le moins :

Au jeu de l'oublier je ne peux résister.

 

Tout fuse, un reste vibre et le temps n'est pas vide

Chez moi, comme je vis, selon ce que j'admets.

Cependant l'irruption de l'univers humide,

Blanc, jeune et contraignant, n'existera jamais.

 

Certes j'en rêve et chante à peu près sa texture,

Faisant par force cas de l'encombrant absent.

Obéissant, j'invente un récit que je sens.

 

Ne pas le réveiller reste mon aventure ;

M'y obstinant je veux ne pas être lassant,

Vieillir tétanisé l'écart s'obscurcissant.

Élan

Je fais enfin l'éloge attendu du son clair

Dont le sommet ténu marque nos apogées.

Le seul monde à saisir est l'ensemble de l'air,

Et l'accent épuré seul nous y fait nager.

 

Ainsi, faisant effort contre l'état impair

Des choses, nous aimons les notes allégées

Dont l'essaim versatile ébauche un ciel ouvert,

Et ne prenons pas garde aux échecs mélangés.

 

Pourtant j'étais misère et j'exigeais mon dû,

Comme tous traversé du mensonge des ombres,

Docile adorateur des extases perdues.

 

Si mes mots maintenant indiquent ces décombres

C'est sans le projet fou d'en conclure le sens :

Devant eux je me tais, par souci de décence.

Ville

Teneur punk d'avant-soir, quand au mieux l'on absorbe

Qui la blonde fadeur des demis, qui un rhum,

Qui la simple poussière envahissant cet orbe :

Le douteux agrégat de la ville et de l'homme.

 

Acceptant la tiédeur d'aucun but qui m'exhorte,

J'approche les placards scintillants des colonnes,

Les frontons surcodés, mais sans franchir de porte.

C'est assez pour que l'heure, indécise, soit bonne.

 

Ne pas chercher la femme est je crois préférable,

Il faut rester distant de tout le consommable.

Car la nuit résoudra le désir formulé,

 

Nous munissant d'un temps pleinement orienté.

D'ici là par le vague essayons d'être hantés,

Coulons nous dans ce monde aux frissons annulés.

Siècles

L'Histoire est dominante aussi vrai que l'on vit.

Le sillon nous contient, plus qu'un propre voyage.

Les heurts enregistrés président à nos vies,

Notre fragilité traversera les âges.

 

Il est beau que la guerre ou l'essor de l'écrit,

Les scrupuleux récits, les persistants visages,

Concourent au passé dont nous sommes le fruit ;

Et surtout que “demain” séduise notre rage ;

 

Que la mélancolie anonyme et divine,

Puisse nous détourner de notre lac troublé …

Mais l'Histoire est aussi le verdict redoublé,

 

L'envoûtement mauvais dont la force extermine.

De ce sens là du temps l'esthète se fatigue,

Aimant la geste fluide et non ce qui l'endigue.

Peijw

Me remonte le goût des échecs dialectiques

Des jours où l'argument fut chanson, s'épuisa.

Je me hais à bon droit pour ces “couacs” pathétiques,

Gus qui sur son orgueil absurdement misa.

 

Se peut-il qu'on résiste au miel philosophique,

Au style que nul siècle encore ne brisa?

Hélas … Si vous offrez le voyage exotique

D'un discours, l'autre a-t-il pour autant le visa?

 

Voici pourquoi jadis, aujourd'hui, je noyai

Mon espoir excité d'heureusement convaincre ;

Et mille fois depuis je me suis dévoyé,

 

Revenant à l'horreur de ce souvenir acre.

Mon défaut de pouvoir ne veut pas s'oublier,

Nemesis familière à ma scène liée.

Dies

Fleurir un peu, poursuivre un signe un alizé,

Aller au bout d'un jour qui s'est ouvert à nous,

Méconnaître l'issue, oublier la visée,

S'en tenir au passage, au bonheur qui s'y noue.

 

Car je disparaîtrai : mon tout sera brisé,

Et je n'en saurai rien, n'étant rien devenu.

Tu ne me retiens pas, présent divinisé!

Ton sens me guide au point d'aucune revenue.

 

Agrippe moi pourtant, séduis moi, que je dorme

Et me réveille et compte un calcul différent,

Le plaisir du hasard qui fait ma vie énorme ;

 

Que vers ma défaillance à la fin concourant,

Je puisse rassurer les partants angoissés,

Dire que c'est possible avant de m'affaisser.

Noèses

Rôtis par un jour morne, animal, affairé,

Nous pensons : le profond appétit veut du sens.

Nous nous promènerons sur ce monde éclairé,

Mais nantis du surplus qu'obtient notre dépense.

 

Alors pour le soir faste et les mets préparés

Nous saurons inventer une bonne jouissance ;

Le miel de notre idée aidant à conjurer

L'échec plat dont frémit la débile existence.

 

La noblesse est de règle à qui veut jubiler,

Bien saisir le moyen d'apprivoiser le temps.

Mais il faut que parfois s'y vienne profiler

 

Le travail positif de l'esprit secrétant.

Du moins si le bonheur est encore de mise,

Au ciel changeant de nos expériences grises.

Projets

Pour que le monde change on aiguise des songes,

Les nombreuses tribus font venir leurs secrets.

Il y a du progrès, se distinguent des mages,

Non exténué, l'ici renverse les décrets.

 

Fiers d'être définis par notre cœur qui plonge,

Adroits nous choisissons le détail du sacré,

Modalisant toujours la force du mirage,

Puisqu'il faut un aveu, que du brouillard se crée.

 

Et si de tout pourtant ainsi l'on mésusait?

N'a-t-on pas négligé la plus profonde ligne,

Compromis sa hauteur avec ses coups rusés?

 

Le semblant du bonheur voudrait demeurer digne

Cependant qu'il décline, et que nos yeux l'adjurent.
Mais ici l'on titube, et se trompe de mur.

Télévision

L'effervescence plane éjecte ses couleurs,

Rectangle de puissance au centre de nos soirs.

Le contingent programme enrôle nos pâleurs,

L'image se compose et nos yeux vont la boire.

 

De tout ce qu'on désire apparaît la splendeur,

Un amour somnambule en tout cas le fait croire.

D'agréables pantins nous font bander sans peur,

De l'immédiat jaillit une sorte d'espoir.

 

Troupeau mal apprécié des amateurs de grottes,

Humanité visqueuse, aux sombres voluptés,

Ton cinéma me plaît, gardez vos antidotes!

 

Etre longtemps bercé par les ondes captées,

Terminer sa fatigue auprès du Late Late Show,

Cet aimable rituel me tient seul assez chaud.

Saisir

Je sais le débridé pulsant la vie avide.

La force du réveil a conduit mes sursauts,

De chance en distraction jusqu'à l'amour limpide :

Dans le vent du facile on livrait ses assauts.

 

L'échec ne fait pas loi, ni le besoin morbide,

Tout est vraiment à prendre, y compris le plus beau.

Laisse venir … Oublie absolument l'aride,

Tisse opportunément le nouvel oripeau!

 

Tu verras le divers étalé de la vie

Tu suivras son courant de pensée impatiente,

Exégète savant des minutes ravies …

 

Ailleurs est le problème obsédant notre attente.

Mais quel qu'en soit le nœud, la force indubitable

Nous porte à conquérir le sens inévitable.

Pause Ivre

S'est crevé néanmoins le sobre préambule.

Je suis pendant, auprès de l'alcool tutélaire.

Je chéris, je révère absurdement la bulle,

Mon visage est tourné vers l'ivresse précaire.

 

Un site est parfois bon, l'heure est à “capitule”,

Devant le vert charmé vient le goût de se taire,

Et l'on n'agence plus, tout geste est ridicule.

Un lac tient lieu de fin pour toutes nos affaires.

 

C'est ainsi que le temps se mélange à la bière,

L'impression fine amène un nouveau droit du rêve,

L'alcool serein prolonge en nous l'éclat des pierres.

 

Tel, féal obligé des bicéphales sèves,

Je souscris aux splendeurs de tous les paysages,

Traversé par le vague et chimique mirage.

Énergie

Où donc s'est-il montré le puissant qui me mange?

A la hâte, éperdu, fixement délaissé,

Je compte ce décor, et nul ne me dérange.

Il faudra revenir à l'usage froissé.

 

Perdre plus, préparer le deuil des larmes d'ange,

Rejoindre le tracas, le bonheur compassé,

Tout ce qui fait pourtant la fête sans mélange.

Que sert de plus vouloir? Ma violence est lassée.

 

Tranquille je désigne et caresse mon ciel,

Soufflant mon long baiser sur ce grand horizon ;

Rêvant d'y voir mon signe et qu'il me plaise tel.

 

Je tentais, je jouais — exemplaire disons —

C'était un cas de vie, un tremblement disert,

Vous savez, le combat, dans l'ennivrant désert.

Manset

Ami de l'amour froid toujours rêvant le gel

Je m'épuise avec toi dans la zone des neiges

Je dure et m'imagine arracher le vrai sel

Vital aux frondaisons de mon temps qui s'allège.

 

Tu dis ce que connaît ma douceur la plus belle,

Mon plus mièvre abandon guidé par ton arpège ;

Tu poses le verglas sur mon orgueil rebelle :

C'est ta chanson jadis qui nimbait mon “Que sais-je?”.

 

En retrait sur la voie, aimant bien le mot “seul”,

Riant aux perfections des subtils optimistes,

Je n'ai pas su trahir ton commode linceul.

 

J'écoute la rengaine et ton poème triste

Je suis très immobile, aplani, volontaire,

Venant à nos sanglots comme au moindre calvaire.

Renoncement

Sans soleil mais avec mon mal je me traînais,

J'apprenais mes besoins comme un texte insipide.

Mon jeu bridé dictait au corps peu passionné

Ses mortes volontés, ses digestions acides.

 

Mon unique idéal était le temps fané,

La torpeur de l'époque, involution rapide.

J'avais su le précaire, et vite condamné

De mon banc j'observais l'irréfutable vide.

 

Tout ceci se passait en un temps sybarite.

La faiblesse à vouloir navrait de bons rieurs,

Nageurs d'un flot gamin de plaisirs et de rites.

 

Rien n'y fait me revint le talent du rôdeur,

Je crus aux bons projets de cette région close

Où la brise surgit pour qui peut quelque chose.

Mergitur

Je voudrais ma fureur pour mieux goûter la pluie,

Le morose qui gagne, et l'atteinte des âmes.

Je voudrais la douleur d'un violent aujourd'hui,

Pour dans la nappe grise être ce qui s'exclame.

 

C'est l'eau qui fait vibrer, donne l'enfer, et luit,

Teneur des mots spongieux de l'explosive trame.

Auprès des bassins noirs j'aime et je blesse autrui,

Je suis le brandon trouble aux insidieuses flammes.

 

Toute rage se bloque après son bref travail,

La gorge reste molle, on ne voit rien qui vaille.

Les trombes longuement peuvent cogner le sol,

 

Nous n'avons plus matière à dégainer nos ires.

Nous nous étions dressés pour ce convulsif rôle,

Mais une averse neutre en éteint les soupirs.

Friends

La saison des amis gouverne mes éveils,

Ils me sont les moments variés de la vigueur.

De les penser je tiens le goût des jours pareils

Et du semblable monde, aux précises langueurs.

 

Le trajet de leurs mots, leur nonchalance vieille,

Dessinent pour mon âme une bonne épaisseur.

Sans parler des alcools, des modernes merveilles,

Dont ils tracent le rite et guident la saveur.

 

De plus le discordant échec de l'amitié,

Me donnant à songer au destin qui me change,

M'aide à mieux définir cette aventure étrange.

 

Même au sens où j'habite un exil sans pitié,

L'ensemble familier de leurs jeux leurs visages

Délimite pour moi le profond paysage.

Divertissement

J'ai conduit trop de jours et porté trop d'humeurs.

La nombreuse anecdote a dissout mon départ,

Trop content chaque fois d'être à nouveau joueur.

J'ai varié sans compter, grâce au monde peu rare.

 

Tel projet de l'amour m'a rebâti le cœur,

Telle croyance a pu dominer mon hasard.

De l'argent m'est venu de différents tuteurs,

Bousculant mon ego ce fantassin bizarre.

 

Les moindres inflexions du climat du courrier,

Transformant la chanson locale de mon être,

Me firent frissonner, sur des futurs parier.

 

Sans trêve m'oubliant j'ai prolongé le naître,

Et n'ai rien dédaigné du disponible émoi.

Mais comment modérer le voyage du moi?

Trace

Si j'ai compté pour vous je n'en veux pas souffrir.

Si j'étais auprès de vos intimes complaintes,

Mon esprit ne peut-il tolérer son sourire?

Devais-je m'excepter des inclinations saintes?

 

Oui je fus avec toi, je t'adulais, sans rire,

Et nous nous sommes dits nos communes atteintes,

Et pendant quelques temps le même point de mire,

A fixé notre cœur, complicité non feinte.

 

Mais tous ces étrangers composent ma mémoire,

Je me heurte à leur phrase, à leurs droits leurs attraits,

Chaque fois que je rêve au goût de mon histoire.

 

Au choc de mes raisons je veux être soustrait,

Ne plus recommencer le plaisir, la menace

D'aimer et rencontrer, fatalité fugace.