Le Kampfplatz du langage

Dans notre situation contemporaine, littŽrature, lingui­stique et philo­so­phie se croisent ˆ la fois sur et en le langage, dans des conditions telles quĠelles paraissent pouvoir se le disputer. Le but du prŽsent article est, certes, de dŽcrire cette situation et sa potentialitŽ conflictuelle, mais aussi et tout autant de dŽgager ce qui nous semble la prŽsupposition directrice pour lĠune et lĠautre : lĠidŽe de lĠomni-englobance du langage, pour la formuler au moyen dĠun nŽologisme assez inesthŽtique, convenons en.

Mieux, on aimerait poser et justifier le projet du dŽpassement de cette prŽsupposition. Et, de lˆ, esquisser ce qui pourrait tre la nouvelle manire de poser la Òquestion du langageÓ pour chacune des trois disciplines nommŽes, ds lors quĠun tel dŽpassement serait au moins engagŽ. Pour finalement tenter dĠanticiper la Ònouvelle donneÓ un peu plus avant encore, en sĠefforant de concevoir les modes de nŽgociation et de collaboration entre les mmes disciplines, toujours ˆ lĠheure supposŽe du mme dŽpassement.

Dans ce qui suit, on sĠattache simplement ˆ suivre, dans lĠordre, le programme qui vient dĠtre ŽnoncŽ.

LĠinterfŽrence conflictuelle du Kampfplatz

Nous allons donner une idŽe de cette interfŽrence en prŽsentant trois conflits ayant le langage comme enjeu et mobilisant plusieurs de nos trois disciplines.

LĠopposition des deux philosophies ÒsurÓ la littŽrature

La philosophie contemporaine me semble dominŽe par deux points de vue, qui correspondent ˆ deux faons de travailler.

LĠun – celui qui a le plus de poids au niveau international sans doute – est celui de la philosophie dite analy­tique. Il est profondŽment marquŽ par une Žvaluation qui fut ˆ lĠorigine celle de Frege, et qui situe lĠintŽrt philo­so­phique du langage rŽsolument ˆ lĠextŽrieur de son emploi littŽraire. Frege affirme en effet que sa thŽorie du sens et de la dŽnotation, et son analyse logique de la phrase, ne concernent que les emplois sŽrieux des expressions lingui­stiques, cĠest-ˆ-dire les emplois visant le vrai ou emplois scientifiques : sont ainsi exclues toutes les manires de parler qui passent par lĠusage de termes fictionnels. Les phrases portant sur Ulysse ou Hamlet ne jouent pas le jeu que Frege veut comprendre, clarifier, ma”triser, et qui est le jeu de la connais­sance vraie. Explicitement, Frege dŽsigne la littŽrature comme ce lieu de lĠautre emploi, vis-ˆ-vis duquel dĠautres analyses sont requises. La philosophie se rŽalise en discutant des questions conceptuelles les plus gŽnŽrales, mais elle ne peut le faire de faon rigoureuse quĠen accŽdant aux contenus conceptuels lˆ o ils sont saisissables avec rigueur, dans une identitŽ publique contr™lable, cĠest-ˆ-dire dans les phrases visant ˆ dire le vrai. Le dŽbat sur les concepts a donc comme point de dŽpart lĠanalyse logique du langage du point de vue de sa revendication de la vŽritŽ. EnvisagŽe comme prŽtendant ˆ la vŽritŽ, toute phrase admet une formalisation dans la logique des prŽdicats du premier ordre, qui met en relief toutes ses articulations conceptuelles. A tort ou ˆ raison, la philosophie analytique internationale juge quĠen abordant le langage de cette manire, elle se donne la mme relation au langage que la science, et une relation ˆ celui-ci autre que la relation littŽraire.

LĠautre point de vue est celui du faisceau bigarrŽ des philosophies continentales : hermŽ­neu­tique, phŽnomŽnologie, post-structuralisme (pour nommer de faon thŽorique dans sa diversitŽ interne le groupe de la French Thought). Ces approches, ˆ lĠinstar de lĠanalytique, sont internationales, et il nĠest pas sžr quĠelles regroupent moins dĠesprits dans le fond : seulement il se trouve que les institutions philo­so­phiques ont eu tendance ˆ sĠaligner sur le premier standard et ˆ refouler au dehors, au-delˆ de la philosophie, ce qui sĠen Žcartait. DĠune certaine manire, ajoutons le pour tre honntes, il nĠŽtait souvent pas nŽcessaire de refouler, les adeptes du post-structuralisme revendiquant, volontiers, le rejet de la cl™ture philo­so­phique, dŽsirant explicitement une notion de la philosophie empiŽtant sur le non-philosophique.

Grossirement parlant, ces philosophies continentales sĠaccordent avec les premires sur le fait que le langage est le lieu dŽcisif, mais elles ne lĠenvisagent pas du point de vue de la structure au travers de laquelle il prŽtend vŽhiculer la dŽclaration du vrai : elles mettent plut™t lĠaccent sur la manire dont le langage fait monde, et la littŽrature se trouve mentionnŽe comme lĠincarnation exemplaire de cette puissance perspectiviste.

A lĠorigine, le Òchoix du langageÓ de ce courant multiforme doit peut-tre tre rattachŽ ˆ lĠinflexion donnŽe par Heidegger au mouvement phŽno­mŽ­no­logique. Ce dernier, on le sait, soutient la thse que le ÒphŽnomneÓ, ˆ la description duquel Husserl voue la philosophie, doit plut™t tre envisagŽ comme un montrer qui dissimule en mme temps quĠil montre, cĠest-ˆ-dire une parole, en telle sorte que la t‰che de le dŽcrire doit tre comprise comme la t‰che de lĠinterprŽter. Ce revirement associe profondŽment la phŽnomŽnologie ˆ une certaine entente interprŽtative du langage. Et, comme on le sait, les conceptualisations du second Heidegger accordent la mme sorte de privilge au langage, de plus en plus conu comme le lieu o quelque chose comme le Òsens du mondeÓ est dŽposŽ, le lieu auprs duquel et en lequel puiser toute Žlucidation possible de ce qui seul compte (et qui nĠest dŽterminŽ que sous lĠangle du mystre).

Mais ce nĠest peut-tre pas la faon heideggerienne dĠenvisager le langage qui dŽtermine le plus la primautŽ qui lui est reconnue dans le courant que nous commentons maintenant. Curieusement, cĠest tout autant un principe ÒmatŽrialisteÓ marxiste qui impose cette primautŽ. Ce qui a trait ˆ lĠhomme ne peut tre compris, juge-t-on, quĠen rŽfŽrence au sous-sol de la pratique humaine, quĠˆ lĠeffectivitŽ du processus social de cette pratique, en lequel rŽside lĠunique partagŽ commun rŽel. Or, la pratique humaine nĠest sociale que par le langage, en fin de compte. Le langage, Žtant le facteur socialisant ultime de lĠexpŽrience humaine, ne peut tre considŽrŽ, par ces philosophies soucieuses de revenir ˆ la concrŽtude tissŽe par notre rŽalitŽ humaine, que comme le document central et privilŽgiŽ, le document mouvant de lĠtre-ensemble. Un document, qui, en fait, tŽmoigne de cet tre-ensemble et lĠaccomplit du mme mouvement. Les enseignements de lĠhermŽ­neu­tique tardive, celle de Gadamer ou de Ricoeur, me semblent sĠappuyer implicitement sur cette vision secrtement hŽgŽlienne dĠune intersubjectivitŽ, dĠun Geist langagier et dĠune historicitŽ nŽcessairement langagire de ce Geist, tout autant voire plus que sur lĠhermŽneuticitŽ du phŽnomne ou de la dŽclosion.

De la sorte, en tout cas, la jonction sĠopre avec la philosophie dite post-structuraliste de la French Thought. Celle-ci, sans doute, a gardŽ la mŽmoire de lĠargument heideggerien, comme cĠest si fortement sensible avec Derrida, mais elle entend aussi la prŽŽminence du langage en ce sens social, post-marxiste, hŽgŽlien et matŽrialiste, voire empiriste. En sorte que, bizarrement, cette philosophie partage avec la philosophie analy­tique la revendication paradoxale et conjointe de lĠempirisme (du refus de toute hypostase idŽelle) et de la primautŽ du langage : paradoxale, parce que le langage est prŽcisŽment le lieu o lĠidŽalitŽ, au sens platonicien, semble difficile ˆ dŽnier ou ˆ expulser (la domination a priori de lĠintrouvable type du a sur toutes les occurrences de a nĠest-elle pas lĠillustration cardinale de ce que Platon pensait comme domination de lĠidŽe ?). On peut mme aller jusquĠˆ dire que de part et dĠautre on invoque la nature de ciment de toute intersubjectivitŽ du langage pour le mettre au premier plan (la discussion conceptuelle doit tre publique et contr™lable, et cĠest ce qui justifie le rŽfŽrentiel logico-lingui­stique pour la philosophie analy­tique, rappelons-le).

La strate Òpost-structuralisteÓ apporte, en mme temps, un intŽrt spŽcifique pour deux ŽlŽments de la constellation lingui­stique : lĠŽlŽment pragmatique et lĠŽlŽment contextuel. Deux dogmes implicites de lĠintelligence post-structuraliste sont : 1) toujours renvoyer ce sur quoi lĠon rŽflŽchit au contexte dont cela dŽpend ; 2) porter une attention systŽmatique et privilŽgiŽe au faire du dire, ˆ lĠŽvŽnement – sĠaccumulant en discours – de la performance ayant nom parole. Austin et Benveniste sont les autoritŽs majeures auxquelles sĠalimente la philosophie qui suit ce deuxime prŽcepte.

Le premier de ces dogmes appelle des analyses ˆ chaque fois diffŽrentes. En principe, le contexte est constituŽ de cet environnement de lĠŽnoncŽ qui nĠest pas forcŽment lingui­stique, Žtant lĠenvironnement ÒrŽelÓ, ÒfactuelÓ, ÒsocialÓ et ÒhistoriqueÓ de la venue ˆ la consignation textuelle du texte. On lĠoppose donc au co-texte, constituŽ de lĠenvironnement purement textuel, trouvable dans la dimension du dŽploiement textuel du fragment textuel elle-mme (par exemple, le livre pour une page du livre). Mais en fin de compte, cette distinction se relativise ou se fragilise parce que les alentours sont eux-mmes saisis comme textuels. Tout corpus du champ anthropologique est en effet constituŽ comme texte, recueilli de manire symbolique, analysŽ dans des formes de concatŽnation et de rŽcurrence analogue ˆ celles du langage selon lĠaxiome ÒstructuralisteÓ.

Et nous en venons ainsi ˆ un autre aspect de la ÒdoctrineÓ implicite et explicite, de toute faon dominante de ce courant : celle selon laquelle lĠexpŽrience humaine dans son ensemble a la forme textuelle. Si, dans le moment structuraliste au sens strict, entre Jakobson et Levi-Strauss, cette thse a une signi­fi­cation mŽthodologique, au point quĠelle dŽfinit une manire de mener lĠenqute des sciences humaines et sociales (on constitue des corpus et on cherche ˆ dŽgager leurs formes relationnelles en ayant en vue lĠalgbre des invariances associŽes), le dŽveloppement philo­so­phique post-structuraliste prend la thse plut™t comme une sorte de dŽcret dĠesthŽtique transcendantale : le divers qui fait sens pour la seule sorte de connais­sance et de rŽflexion quĠon ait en vue est le divers textuel.

Reste ˆ mentionner, pour avoir proposŽ un tableau ˆ peu prs complet, lĠontologie de la diffŽrence inspirŽe par la pensŽe de Saussure. Sans que la connais­sance nouvellement acquise, largement gr‰ce ˆ Simon Bouquet, des Žcrits de lingui­stique gŽnŽrale de Saussure ne change sur ce point la perspective, on retient en effet de Saussure le message essentiel de la nature diffŽrentielle de lĠeffet de sens. Celui-ci procde de la segmentation simultanŽe et solidaire dĠun continuum de la pensŽe (c™tŽ signifiŽ) et dĠun continuum du support sensible (c™tŽ signifiant). Chaque signe, lien provisoirement stable de deux petites rŽgions prises dans chacun des continuum, ne se peroit comme ce quĠil se peroit et ne se comprend comme ce quĠil se comprend pas autrement que dans la confrontation implicite ˆ tous les autres liens de la sorte. LĠoriginaire est donc la jonction de deux ÒphŽnomnesÓ diffŽrentiels. La French Thought a rŽagi ˆ cet enseignement en lĠuniversalisant : elle y a entendu le caractre gŽnŽralement originaire, en matire onto­lo­gique, de la diffŽrence. Cela donne, par exemple, le motif de la diffŽrence libre chez Deleuze et celui de la diffŽrance chez Derrida. Pour ces auteurs, la pensŽe de lĠontologie de la diffŽrence est en mme temps trs proche de deux sources internes ˆ la philosophie qui comptent considŽrablement ˆ lĠŽpoque : Hegel et Nietzsche. Chez le premier, cĠest la primautŽ de la nŽgativitŽ et du devenir, et la vision dĠun vaste systme historique de lĠtre animŽ et informŽ par la nŽgativitŽ qui peut venir surcharger le diffŽrentialisme saussurien, chez le second, cĠest lĠidŽe dĠun ocŽan primitif des simulacres, dĠun chaos de la puissance et dĠun Žternel retour diffŽrenciant (le mme Žtant alors compris comme le diffŽrent, de manire unanime) qui valent comme confirmation universalisante de la pensŽe saussurienne.

Telle est bien la Stimmung de la French Thought : celle dĠune pensŽe pour laquelle tout est langage parce que et pour autant que tout est mouvance et diffŽrence.

Quelle est la relation ˆ la littŽrature de cet ensemble non rŽellement convergent de pensŽes ? Il semble que lĠon puisse trouver en son sein une sorte de consensus implicite sur lĠessentialitŽ, sinon la primautŽ du lieu littŽraire. Heidegger finit, on le sait, par dŽclamer une pensŽe du voisinage de la poŽsie et de la pensŽe qui ne compte pas peu dans la faveur dont il est lĠobjet dans notre pays. Les contributions majeures de lĠÏuvre de RicÏur insistent sur la fonction temporalisante et la fonction de vŽritŽ de la littŽrature, prise comme rŽcit et comme visŽe de monde. Mais la place de la littŽrature dans le post-structuralisme est tout aussi considŽrable. Non seulement Derrida plaide la cause philo­so­phique de la littŽrature dans ses Žcrits (prŽtendant, notamment, que la philosophie ne parvient jamais ˆ sĠemparer de la mŽtaphore au-delˆ du jeu littŽraire de celle-ci, ou que la psychanalyse ne parvient jamais ˆ mieux dire thŽoriquement ce dont elle trouve lĠillustration dans la littŽrature que cela nĠest dit en mode littŽraire), mais il tisse pour une part son message philo­so­phique, par exemple dans Glas et dans La carte postale, sur le mode littŽraire. Mais on remarquera aussi lĠusage fait de Lewis Caroll et de Proust par Deleuze, ou celui du Don Quichotte de Cervants par Foucault. Cette philosophie, ˆ vrai dire, sĠest communiquŽe dans le monde entier dans les dŽpartements de littŽrature, et elle est partout reconnue comme la philosophie de la littŽrature (au-delˆ du dŽsir de ses promoteurs, sans doute : dans la mŽconnaissance de certaines de ses intentions).

Tel serait le premier conflit, strictement interne ˆ la philosophie, de notre Kampfplatz : une philosophie qui se fonde sur la considŽration non littŽraire du langage sĠoppose ˆ une philosophie qui se rŽalise de manire privilŽgiŽe comme philosophie de la littŽrature, ou comme philosophie complice du mode littŽraire. En mme temps, les deux philosophies mettent au premier plan le langage, et, en un sens, toutes deux au nom de ceci que le langage ÒestÓ le lien social par excellence.

LĠopposition Montague/Chomsky sur la nature de la grammaire universelle

Notre premier conflit avait la philosophie comme lieu, et, dans une certaine mesure, la littŽrature comme thme. Celui qui vient sĠordonne plut™t ˆ lĠenjeu de la science du langage.

La question est, dĠun c™tŽ, de savoir quelle lingui­stique doit accompagner la philosophie, de lĠautre c™tŽ celle du Òvrai systmeÓ de la langue. Deux modles prŽtendent ramener la signi­fi­cation ˆ des structures finies traables sĠopposant ˆ lĠintŽrieur du mme ÒespritÓ positif : lĠanalyse des phrases en termes de conditions de vŽritŽ proposŽe par Montague, et lĠanalyse des phrases en termes de constituence instaurŽe par Chomsky dans son premier gŽnŽrativisme. Chacun de ces projets systŽmatiques sĠintitule lui-mme grammaire universelle, puisquĠil conduit ˆ une restitution symbolique de la syntaxe des phrases. Il sĠagit donc de savoir si lĠon doit reprŽsenter Jean aime Marie par R(a,b) ou par [S[SN[N Jean]] [SV[V aime] [SN [N Marie]]]].

Ces deux approches diffrent par leur rapport ˆ la philosophie qui leur est nativement proche, la philosophie analytique. LĠapproche de Montague co•ncide purement et simplement avec le point de vue ÒlogiqueÒ sur les phrases apportŽ par Frege et Russell et pris ˆ leur suite comme directeur pour toute discussion conceptuelle. La conception gŽnŽrativiste est pour lĠessentiel ignorŽe par le courant analy­tique : est-ce parce que ÒmalgrŽ toutÓ, elle procde dĠun intŽrt vrai pour le langage ? Il est vrai que les choses bougent un peu ˆ lĠheure cognitive : les thses chomskiennes sur lĠinnŽisme, lĠapprentissage et la facultŽ de novation infinie du langage sont reprises par la philosophie de lĠesprit.

Mais ÒderrireÓ cet affrontement de visions systŽmatiques sĠinsre un autre dŽbat, portant sur le r™le du niveau pragmatique. Les dispositifs de Montague et Chomsky ont en commun dĠŽcraser le niveau sŽman­tique sur un niveau syntaxique ÒformalisŽÓ, et de para”tre ignorer le niveau pragmatique (mme si un objectif avouŽ de Montague Žtait de le rŽcupŽrer). En consŽquence, ˆ partir de la reconsidŽration philo­so­phique dĠun Austin ou dĠun Wittgenstein, accordant chacun la valeur la plus haute, en vue de la dŽter­mi­nation et de la comprŽhension du sens, au faire spŽcifique enveloppŽ par le langage, la philosophie analy­tique sĠefforce aussi de promouvoir une vision non rŽductionniste et non close de la chose lingui­stique : cette orientation dŽtermine un dŽbat avec les tenants de lĠun ou lĠautre des points de vue systŽmatiques dĠabord ŽvoquŽs. La dispute sur lĠimage du langage traverse alors la frontire science du langage/philosophie : Austin et Montague sont envisagŽs comme linguistes et comme philosophes.

Pour dire le Kampfplatz sur son versant concernŽ par le langage et la science qui lui convient dans toute sa complexitŽ, on devrait sans doute Žvoquer aussi les efforts relativement rŽcents pour dŽvelopper une lingui­stique ayant des inspirations de philosophie continentale, et faisant obstacle sur le terrain de la fidŽlitŽ scienti­fique ˆ lĠobjet langage aux prŽtentions de la philosophie analy­tique et de la philosophie de lĠesprit. Les lingui­stiques cognitives de Ronald Langacker et Leonard Talmy, sans le savoir, suivent un programme de description de la signi­fi­cation qui rencontre les idŽes de Kant et de Husserl en philosophie : soit que ces auteurs insistent sur une dimension intuitive, essentiellement spatiale et temporelle, du signifiŽ, qui exige la prise en compte dĠespaces de repŽrage appropriŽs, et rattachent mme en fin de compte le niveau baptisŽ catŽgorial chez Kant lui-mme au fond intuitif ; soit quĠils mettent lĠaccent sur les parcours mentaux et formes de vŽcus qui sont derrires les signi­fi­cations, et en appellent ˆ une description de ces configurations mentales proche dans son principe et certaines de ces conclusions de la vision husserlienne. Chez des sŽmanticiens cousins des premiers mais plus radicaux dans leur dŽmarche, comme F. Rastier, ou P. Cadiot et Y.-M. Visetti, lĠidŽe est plut™t de se fonder sur le langage et son sŽmantisme pour rŽinventer la phŽnomŽnologie en dŽployant toutes les phases et les modes de gense des formes sŽman­tiques. F. Rastier analyse la signi­fi­cation comme dŽcoulant dĠune dynamique de la distinctivitŽ, et rŽinterprte lĠintentionnalitŽ husserlienne en termes dĠimpression rŽfŽrentielle ou lĠĉtre-au-monde heideggerien en termes du marquage par la langue dĠentours pragmatiques de lĠŽnonciation. P. Cadiot et Y.-M. Visetti remontent ˆ une phŽnomŽnologie de la perception et de lĠaction originaire o se conjuguent un faisceau hŽtŽrogne de dimensions intuitives, donnant lieu ˆ la stabilisation relative et momentanŽe de motifs suivant certains profils, pour conduire ˆ la position de rŽseaux thŽmatiques.

Avec lĠŽvocation de ce dernier travail, nous avons lĠexemple dĠun aspect du Kampfplatz non encore explicitŽ : les linguistes, eux aussi, revendiquent le langage pour eux, contre les autres prŽtendants, ou plut™t ils estiment assez naturellement tre les experts en mesure de dire la possibilitŽ de pensŽe recelŽe par le langage, donc de la pensŽe tout court, en sorte quĠils rŽŽcrivent ou re-disposent le dŽbat philo­so­phique ˆ la convenance de leur enjeu, qui est celui du compte rendu du sens comme sens lingui­stique (mais y en a-t-il un autre ?). P. Cadiot et Y.-M. Visetti critiquent, ainsi, rŽtrospectivement la faon dont la fonction du schŽmatisme est conue chez Kant, ou reprennent ˆ leur compte la critique heideggerienne et post-heideggerienne de lĠidŽe dĠintentionnalitŽ chez Husserl, trop exclusivement thŽorŽtique, ou coupable de ne pas traiter les dimensions liŽes ˆ lĠaction comme aussi originaires que celles liŽes ˆ la contemplation[1]. Mais Benveniste, de mme, discute les catŽgories aristotŽliciennes comme une tentative de prise de conscience dĠune batterie dĠoptions de prŽdication qui appartiennent ˆ la langue grecque et ˆ elle seule. En sorte que, pour nous rŽsumer, un aspect du Kampfplatz est Žgalement que les linguistes ont au nom de leur relation au langage quelque chose ˆ dire de ce que la philosophie prend ˆ tort pour son objet exclusif.

LĠopposition Blanchot/Derrida : o est lĠŽcriture ?

Un semblable relation dĠempiŽtement mutuel sĠobserve entre littŽraires et philosophes. Des auteurs comme ValŽry ou Blanchot peuvent avoir la faveur et lĠestime de la confrŽrie philo­so­phique en raison du grand cas quĠils font de la pensŽe philo­so­phique, ou du moins dĠune certaine pensŽe philo­so­phique. Mais cela signifie aussi que, pour une part au moins, ils accrŽditent lĠidŽe que la philosophie passe par eux autant que par ses reprŽsentants convenus.

Cette opinion, certes, para”t impossible en rŽgime analy­tique, sĠil est vrai que le philo­so­phique a ŽtŽ dŽfini, dans ce cas, en liaison avec un usage sŽrieux du langage incompatible avec son emploi littŽraire (ainsi que nous lĠavons vu plus haut). Mais cette disjonction nĠest peut-tre mme pas certaine. Paul Ricoeur, discutant dans Soi-mme comme un autre les thses de provenance analy­tique sur lĠidentitŽ personnelle, dŽnomme Òscience-fictionÓ les expŽriences de pensŽe proposŽes par le philosophe analy­tique Derek Parfit afin dĠŽclairer lĠaffaire de lĠidentitŽ[2]. Comme le montre Sylvie Allouche[3], cette dŽnomination est certainement confusionniste et abusive, elle procde de lĠignorance par RicÏur de lĠexistence dĠun vŽritable genre littŽraire de la science-fiction. Mais elle rŽvle en mme temps un mode de proximitŽ, un ÒvoisinageÓ possible entre philosophie et littŽrature. De fait, les expŽriences de pensŽes ou historiettes de la philosophie analy­tique sont ˆ certains Žgards conues et montŽes en liaison avec la science, en prenant appui sur une description du monde et un parcours a priori des possibles offerts par la science. De mme, les intrigues des romans de science-fiction ont volontiers pour noyau un scŽnario imaginatif dŽrivŽ de la science. Les romans dits aujourdĠhui de hard science sont trs prs de nĠtre pas autre chose quĠune telle imagination, prŽsentŽe de manire dŽtaillŽe, documentŽe et pŽdagogique. De lˆ ˆ dire que les vrais philosophes sont les auteurs de science-fiction, il nĠy a quĠun pas. La philosophie analy­tique, originairement attachŽe ˆ lĠidŽe quĠaucune connais­sance ou technique de pensŽe prŽalable nĠŽtait nŽcessaire pour faire de la philosophie, que seule la connaissance de la science et une certaine familiaritŽ avec ses problmes gŽnŽraux pouvaient tre requises, est fort mal placŽe pour exclure que des dŽmarches de romanciers comme celle du mathŽmaticien Greg Egan[4] soient classŽes dans la philosophie.

Du c™tŽ de la philosophie continentale en tout cas, et spŽcialement de cette espce que nous avons nommŽe post-structuralisme ou French Thought, la porte est largement ouverte. A cet Žgard, on peut dire que le travail de Derrida est celui qui a le plus radicalement ouvert la perspective de la redondance littŽraro-philo­so­phique. On sait en effet que son enseignement, en un sens, consiste ˆ dire que le seul mode de dŽrive et de libertŽ qui nous soit offert vis-ˆ-vis de la ÒmŽta­phy­siqueÓ est celui que nous ouvre lĠŽcriture : pratique de la diffŽrance, qui ne conna”t le signe que sous lĠangle de son dŽfaut de prŽsence constitutif, lĠŽcriture est le chemin de la vŽritŽ, ou plut™t elle est une praxis non-illusoirement pŽnŽtrŽe de la croyance en la capture de la prŽsence, qui tient lieu de vŽritŽ pour une attitude assumant le deuil de la vŽritŽ. Mais sĠil en est ainsi, comment les hommes de littŽrature ne remarqueraient-ils pas quĠils sont les agents experts de lĠŽcriture, quĠils connaissent son dŽni de la totalisation, de la substantialisation, de la prŽdication sžre et sans reste, bien mieux que les philosophes ne le pourront jamais, sauf par hasard ? Blanchot, ˆ longueurs de pages, reprend ˆ son compte lĠidŽe derridienne dĠune relation rectrice de la pensŽe ˆ lĠabsolument autre, liŽe ˆ une pratique dŽtraquant lĠŽconomie ordinaire de la signi­fi­cation : il peut mme accommoder ˆ sa tonalitŽ dĠŽcriture, en les commentant dans des pastiches flamboyants et respectueux, toutes les pensŽes philo­so­phiques notoires de cette mouvance (Nietzsche, Deleuze, Foucault). Il reste que pour lui, la ÒvaleurÓ ˆ laquelle toute cette philosophie en appelle est clairement celle du dŽtour littŽraire, de la courbure oblique de lĠexpression que ne cesse de requŽrir et dĠobtenir lĠusage littŽraire des mots et des phrases. Au travers de toute son obŽdience respectueuse ˆ lĠŽgard de la philosophie, il tend donc ˆ comprendre la t‰che philo­so­phique au niveau dĠun dŽvoiement, dĠune torsion, dĠune complication, dĠune mise en abyme du sens qui sont plus proprement le fait de la littŽrature. ValŽry, avant lui, avait montrŽ de faon convaincante comment lĠŽcrivain, en tant que tel, pouvait assumer en quelque sorte directement lĠenjeu de la pensŽe, sans avoir besoin du laboratoire philo­so­phique en quelque sorte. Et, nous lĠavons dit, une frange au moins du dŽveloppement philo­so­phique continental valide jusquĠˆ un certain point cette passation de pouvoir, construit depuis lĠintŽrieur de la tradition philo­so­phique son aboutissement ou son exercice le plus radical comme littŽraire.

Omni-englobance et appartenance

Le langage est donc bel et bien constituŽ en Kampfplatz : la philosophie, la linguistique et la littŽrature ont chacune leur faon de revendiquer, ˆ partir de lui, la meilleure prise sur lui, la pensŽe et le sens. A lĠarrire-plan de ce Kampfplatz, bien entendu, il faut voir les identifications constitutives de notre modernitŽ entre signi­fi­cation et signi­fi­cation linguistique, ou entre pensŽe et langage. Pour lĠentendement analy­tique comme pour lĠentendement continental, pensŽe, langage et sens ont tendance ˆ se confondre, et ds lors, linguistique, philosophie et littŽrature se croisent pour des raisons essentielles sur le ÒplateauÓ du langage : elles prŽtendent saisir lĠ‰me de ce que recouvre leur nÏud triple, et dont procdent maint savoir et mainte formation textuelle, sans savoir de quel nom cet essentiel doit tre nommŽ.

CĠest ˆ ce premier niveau que je voudrais intervenir, comme annoncŽ, pour suggŽrer une manire de bouger relativement ˆ la situation qui vient dĠtre dŽcrite. Devons-nous, en substance, accepter sans plus la dŽfinition du langage comme lieu radicalement privilŽgiŽ, comme lieu auquel nous appartenons plus que comme instrument que nous manions, comme scne et ressort de la pensŽe plut™t que comme expression de celle-ci, etc. ? Cette manire de considŽrer a priori le langage comme englobant, et comme toujours prŽsent et secrtement ma”tre de toute question ou toute rŽflexion ˆ lui adressŽe est en effet caractŽristique de la situation issue du vingtime sicle, et elle dŽtermine la configuration de Kampfplatz pour les armŽes de nos disciplines.

Si nous consentons un lŽger retour en arrire, en effet, nous sommes fondŽs ˆ observer que :

— CĠest bien parce que le langage est tout quĠil y a un enjeu infini autour de la question de savoir si ce tout est logique ou littŽraire, point sur lequel sĠopposent, en substance, philosophie analy­tique et philosophie continentale.

— LĠalternative entre Chomsky et Montague porte sur la forme caractŽristique du ÒtoutÓ quĠest le langage, si on suppose cette forme syntaxique. Il sĠagit dĠidentifier le systme de la configuration totale de lĠexpŽrience et du monde.

— Si le langage est tout et nous englobe comme ce tout, alors lĠŽcriture est la modalitŽ ultime du devenir, et lĠalternative entre Blanchot et Derrida est alternative entre une version littŽraire et une version philo­so­phique de lĠhŽraclitŽisme.

Pourtant, le grand prŽsupposŽ dĠomni-englobance du langage est aussi mis en crise, paradoxalement, par lĠidentitŽ mme des trois disciplines qui se disputent lĠhorizon absolu du langagier : ce qui fait malgrŽ tout le Kampf possible est en mme temps la diffŽrence de nos disciplines, et cette diffŽrence ˆ chaque fois, renvoie ˆ une ÒrelativisationÓ de lĠuniversel enveloppement du langage.

Par exemple, la linguistique se dŽfinit comme la science du langage, dans un contexte o toute science nĠest pas du langage, et o, donc, le langage nĠest ˆ tout le moins pas objectivement obsŽdant : il y a dĠautres objets que ceux du langage ou que le langage dans son ensemble. Que tous les objets ne puissent se dire quĠavec des mots ne supprime pas la diffŽrence quĠil y a entre sĠintŽresser scienti­fiquement ˆ la terre pour faire de la gŽologie et sĠintŽresser scienti­fiquement aux structures grammaticales de la circonstancialitŽ.

De mme, le mot littŽrature dŽfinit un champ de compŽtence qui est ˆ la fois celui de lĠŽtude et de la production des textes littŽraires. Mais cela sous-entend clairement quĠil y a une limitation du corpus de la littŽrature, si difficile que puisse tre la formulation dĠun critre rendant raison de cette frontire. La difficultŽ et la gloire qui sĠattachent ˆ la fabrication et ˆ la comprŽhension adhŽrente de la chose littŽraire sont assez dŽcisives dans notre expŽrience pour que nous ne puissions pas douter quĠil y a des modes non littŽraires de lĠŽcriture et de la lecture. Par consŽquent, nous ne pouvons pas croire que lĠessence du langage soit littŽraire, mme si nous insistons sur lĠoriginaritŽ de la parole vis-ˆ-vis de toute donnŽe langagire, par exemple, et si nous sommes tentŽs de nous reprŽsenter a priori la parole comme toujours dŽviation littŽraire par rapport ˆ une attente codŽe : ce raisonnement, pžt-il sembler ˆ un premier niveau superficiel convaincant, bute contre lĠŽvidence de notre conviction concernant ce que jĠappellerais la contingence de la littŽrature. Le mot littŽrature prŽlve une possibilitŽ qui nĠest pas le tout ou lĠidentitŽ ma”tresse du langage. Mais la stature distinctive de la littŽrature en dit mme un peu plus : elle dit ˆ sa faon que le langage nĠest pas le tout de la vie. En effet, la distinctivitŽ de la littŽrature me semble envelopper aussi la connais­sance tacite et volontiers dŽniŽe que toutes les variations de la vie ne sont pas langagires. Si la vie humaine Žtait absolument langagire, peut-tre serait-il difficile de rŽsister ˆ lĠidŽe que toutes les singularisations existentielles sont littŽraires, peut-tre lĠargument ˆ partir de la parole que je viens de rejeter en dŽpit de son caractre sŽduisant serait-il inesquivable. Mais je soutiens que dans la claire vision, que nous gardons, de la contingence du littŽraire, se tient aussi la reconnaissance dĠune modulation non langagire de la vie. Tous les exemples seront forcŽment mauvais, parce que, en les rapportant, je leur donne un vtement de mots o peut se loger lĠentente littŽraire, sĠil est vrai que, par exemple Ç Qui te lĠa dit ? È est littŽraire. Mais le vieux sujet de dissertation ÒLe vraie vie est littŽratureÓ dŽsigne aussi un lieu de la fausse vie qui nĠŽchappe probablement au littŽraire que parce quĠen lui retentit seulement un langage en lequel lĠexpŽrience ne sĠexhausse pas, ne se rŽflŽchit pas, ne se totalise pas. Nous comptons quelque part avec un niveau non littŽraire du langage, et un mode de la vie qui nĠest pas langagier parce que la diction incluse en lui, plate, ne fait pas vivre. Du moins telle serait ma conjecture.

Enfin, tout usage du langage nĠest pas philo­so­phique, loin de lˆ. Mes collgues ont en effet en partage, et cĠest peut-tre mme la seule chose quĠils partagent, une sensibilitŽ extrmement fine ˆ lĠŽgard de ce qui fait quĠun texte est philo­so­phique ou non : ils prŽtendent gŽnŽralement possŽder une oreille qui repre le moment o le philo­so­phique se dŽtache du juridique, du religieux, du scienti­fique, du littŽraire, etc. Cette conviction Žquivaut ˆ la croyance en une modalitŽ dite de la pensŽe pure qui pour ainsi dire sĠenclenche ˆ partir de bases ÒlangagiresÓ extrmement variŽes : cette modalitŽ renvoie ˆ une idŽe de la pensŽe pure, qui, certainement, nĠest saisissable que dans des formes de discours, mais se rŽfre pourtant ˆ un arrire monde non langagier. On ne peut Žviter de croire que la dynamique particulire de production de discours qui sĠappelle philosophie tout ˆ la fois procde dĠun espace pour une part orthogonal ˆ celui du langage et se dŽfinit comme lĠeffort de rŽflexion de cet espace, de cette orthogonalitŽ.

Indirectement, il me semble, notre Kampfplatz tŽmoigne de la particularitŽ et de la contingence du langage. Ce sont elles que nous devrions reconquŽrir, pour envisager autrement notre relation ˆ ce qui, bien entendu, devra nŽanmoins tre maintenu comme le lieu privilŽgiŽ du langage. Quelque chose, mme, de lĠidŽe dĠappartenance incontournable est juste et ne peut pas tre combattu. Mais cette idŽe mme est plus intŽressante si elle ne nous fait pas perdre vue la contingence et la particularitŽ du langage.

Est-il possible de dire cette contingence et cette particularitŽ de manire intŽressante ? JĠimagine, ˆ cet Žgard, trois directions intellectuelles.

1) DĠun point de vue, en quelque sorte, naturaliste et scienti­fique, notre Žpoque est aussi celle du dŽveloppement des recherches sur le langage, les sociŽtŽs et la culture animales. Je renverrai sur ce sujet aux travaux de Dominique Lestel, qui aborde lĠensemble de ces sujets depuis plus de dix ans, avec une ambition radicale et philo­so­phique non dissimulŽe. De trs nombreuses donnŽes ont ŽtŽ rassemblŽes, de fort nombreuses expŽriences rŽalisŽes, qui montrent de faon convaincante et indubitable au moins ceci : la confrontation des sociŽtŽs animales et des sociŽtŽs humaines, des rites et de la culture animales avec les n™tres, de la communication dĠespce lingui­stique animale avec le langage humain, quoiquĠelle ne ruine pas lĠidŽe dĠun Žcart qualitatif, dĠune distance quelque part absolue entre la performance humaine et ses contreparties animales, met aussi en Žvidence lĠextrme difficultŽ quĠil y a ˆ rendre compte de cet Žcart putatif au moyen de critres clairs et univoques. La spŽcificitŽ de la puissance humaine de socialitŽ, de coutume et de langage semble distribuŽe dans un agencement complexe de diffŽrences de degrŽs ou de quantitŽ selon plusieurs dimensions. La question thŽorique de dŽmarcation ainsi soulevŽe, sĠavre absolument embarrassante, aussi impossible ˆ Žcarter quĠˆ rŽsoudre de faon pure. Mais de telles recherches ne nous enseignent-elles pas, rŽciproquement ou en retour en quelque sorte, que nous ne savons pas trs bien en quoi et jusquĠˆ quel point nous sommes des sujets de langage ? Certains niveaux dĠactivation ou certains secteurs dĠintervention de nos facultŽs de communication ne ravalent-ils pas celles-ci ˆ un rang prŽ-lingui­stique ? Sommes nous ˆ tous Žgards, toujours et dĠune manire que nous sachions prouver, ÒdansÓ le langage en ce sens fort de la chose qui le distingue radicalement de lĠensemble des pratiques animales ? Nous avons sans nul doute, dans ces dŽveloppements rŽcents de lĠŽthologie, de quoi regarder le langage, pour une fois, dans sa contingence et sa particularitŽ.

2) DĠune tout autre manire, il me semble que lĠexpŽrience accumulŽe dĠun sicle de philosophie Òanti-psychologisteÓ incite ˆ une prudence nouvelle. En fin de compte, les ma”tres multiples et contradictoires de lĠanti-psychologisme ne nous ont pas convaincus de lĠinanitŽ de lĠintŽrioritŽ. Les philosophes du soupon, les philosophes analytiques et les phŽnomŽnologues post-heideggeriens nous ont tous dit : vous ne pouvez pas fonder vos distinctions, vos critres, vos concepts, vos lois sur des supposŽs contenus intimes qui, sĠils sont vraiment intimes, ne sont pas partageables, et sĠils sont partageables, se rŽsolvent dans la non-intimitŽ des ŽlŽments objectifs externes employŽs pour leur partage. Pour un phŽnomŽnologue post-heideggerien, je ne peux pas supposer mon vŽcu bien identifiŽ ÒavantÓ lĠengagement de mon existence vers le monde auquel elle va, je ne peux partir que de ce que je prŽ-comprends dans et en termes de ce Òmonde de lĠexistenceÓ. Pour un philosophe analy­tique, les prŽtendus contenus intŽrieurs ne se laissent saisir que dans les formes langagires qui les portent et qui, les transmettant, les identifient. Pour un philosophe du soupon, mon intŽrioritŽ est un faux semblant, en laquelle ou ˆ travers laquelle parlent mon corps, mon inconscient ou mon histoire / ma classe. Mais cet argument, convergeant dans ses trois guises incommensurables, si juste quĠil paraisse dĠabord, se laisse renverser au second tour. Finalement, pour la dŽter­mi­nation ce qui fait partie de mon monde existential, de comment il se structure, le phŽnomŽnologue post-heidegegrien revendique lĠattestation donnŽe par le seul garant possible, qui est lĠexistence elle-mme. Finalement, les idŽologies, les pulsions ou lĠinconscient nĠont pas dĠidentitŽ qui compte en dehors de la perturbation ŽprouvŽe, du non-contr™le vŽcu quĠils induisent. Finalement, les contenus lingui­stiques ne sĠidentifient pour le philosophe analy­tique que dans leur forme logique vraie au-delˆ de lĠagencement grammatical externe, et cette forme nĠest jamais gagnŽe sans un renvoi ˆ une sorte dĠintuition logique ultime supposŽe partagŽe (nous rendant capables de dire, par exemple que ÔIl est vrai que PĠ et ÔPĠ reviennent au mme, ou encore que dans ÔLĠactuel roi de France est chauveĠ, la place de ÔLĠactuel roi de FranceĠ est non-rŽfŽrentielle). Nous avons toujours besoin de lĠintŽrioritŽ pour savoir de quoi nous parlons, mme si cĠest du langage que nous parlons. Le langage nĠest pas plus donnŽ ÒavantÓ la subjectivitŽ quĠautre chose. Et la t‰che de lĠintelligence philo­so­phique demeure, entre autres choses, la t‰che de revendiquer un contenu intime comme contenu universellement intime, en expliquant de quelle manire ce contenu Žclaire toute une multi­pli­citŽ dĠautres : ce que lĠon a appelŽ la t‰che transcen­dantale. Or une telle t‰che exclut que nous nous confondions avec notre appartenance au langage. Cette appartenance ne peut tre assumŽe que de manire critique, comme toute appartenance pour lĠanimal douŽ dĠintŽrioritŽ. Le langage est un systme ou une surface dĠaccomplissement inesquivable, mais vis-ˆ-vis duquel le ÒsujetÓ est ˆ vrai dire toujours en mesure de et dans lĠobligation dĠŽvaluer un certain degrŽ de succs de lĠexpression.

3) Enfin, Levinas nous a appris lĠincontournabilitŽ de lĠappartenance au langage dans des termes nouveaux, qui nous conduisent ˆ la relativisation Žthique du langage. Les enseignements lŽvinasiens sur le langage sont pluriels et divers, et ce qui vient sera nŽcessairement partiel de ce point de vue. Insistons simplement sur son idŽe de la secondaritŽ du langage ˆ lĠŽgard de la relation Žthique, elle-mme ˆ envisager de deux faons :

— Premirement, Levinas attire notre attention sur ceci que le faire sens du sens sĠenracine (du point de vue du sens) dans lĠadresse. Pour que lĠaffaire du sens tourne et persiste, il faut que les mots demandent ˆ tre compris, et cela mme se comprend ˆ partir de lĠatteinte Žthique : cĠest depuis lĠassomption par moi dĠautrui comme demande, du visage comme dŽtresse et hauteur sollicitantes que jĠaccde ˆ la ÒstrateÓ de lĠinterprŽtation, ˆ la finalitŽ du Òdevoir tre compris comme ils le demandentÓ affectant les mots et assemblages de mots. De ce point de vue, lĠhumanitŽ langagire appara”t comme seconde par rapport ˆ lĠintrigue duelle de lĠŽthique, sur laquelle ˆ y bien rŽflŽchir tout repose, non pas du point de vue onto­lo­gique (car, sur ce plan bien entendu, il faudrait dire au contraire que lĠtre physique, lĠtre biologique, ou que lĠusage factuel de la vie sociale, lĠhistoire, la coutume et les textes, sont premiers), mais du point de vue qui justement importe le plus dans lĠorbe du langage, ˆ savoir celui du sens. CĠest par rapport ˆ sa vocation fondamentale, le sens, que le langage est en dette sur lĠintrigue Žthique.

— Deuximement, Levinas associe le langage ˆ toute la constellation rationnelle, qui surgit nŽcessairement dans son dispositif avec lĠinstance du tiers. CĠest dans la mesure o je ne rencontre pas lĠatteinte Žthique une seule fois et sous un seul visage, mais suis au contraire dŽfiŽ par les hauteurs-dŽtresses de plusieurs prochains, et deviens prochain moi-mme ˆ c™tŽ du premier autrui pour le second autrui, que du point de vue mme de la demande Žthique une confrontation, un jugement, une perŽquation apparaissent comme requises. A cet endroit, dit Levinas, trouvent leur source – au sens de leur raison dĠtre, leur mission – le droit, la justice, le langage, la logique, la science, etc. Levinas fait compara”tre le langage avec toute la constellation rationnelle en ce moment second liŽ au tiers. Cette fois-ci, cĠest si nous considŽrons le langage du point de vue de ce qui semble sa prestation fondamentale – Žtablir une ÒvaleurÓ stable entre les hommes – quĠil appara”t comme second par rapport ˆ la Òstrate ŽthiqueÓ : il procde en fait du redoublement interne de la demande propre ˆ cette strate, qui dŽgage une demande Òen plusÓ, celle de lĠarbitrage (arbitrage qui a notamment le sens de la limitation de lĠinfini de ce que je dois dĠabord, originairement, ˆ chaque autrui).

Certes, on pourrait amender lŽgrement ce qui prŽcde en rappelant que, par ailleurs, le discours est pour Levinas ce qui, par excellence, sait pointer vers lĠautre qui ne se ramne pas au mme, franchir sans le franchir lĠab”me entre moi et autrui pris comme incommensurable en tant que visage. En telle sorte que le discours, le Dire, le langage envisagŽ du c™tŽ de son moment Žnonciatif, semblent pour lui contemporains de lĠatteinte Žthique. La French Thought sĠest prŽcipitŽe sur cet aspect de la pensŽe de Levinas qui lui convenait mieux. Mais il ne faut pas mal le comprendre. Le Dire, ou le Discours, dans ce sens, ne sont pas ÒvraimentÓ langagiers. LĠidŽe est plut™t que lĠon retrouve dans une dimension analysŽe usuellement comme langagire lĠindice du prŽ-langagier de lĠŽthique. Le Discours au sens de TotalitŽ et infini, on ne le comprend pas ˆ partir de la littŽralitŽ dĠŽnoncŽ de Me voici, mais ˆ partir de lĠadage ÒLes besoins matŽriels de mon prochain sont mes besoins spirituelsÓ. Le Dire de Autrement quĠtre, ce nĠest pas tellement lĠŽnonciation derrire lĠŽnoncŽ, Žgalement mise en vedette par Derrida ou Lacan, cĠest cette ŽnuclŽation de moi engagŽ par autrui au don de tout ce qui peut faire nourriture, cette sensibilitŽ maternelle du moi Žthique. Il est juste dĠentendre que, pour Levinas, cette signi­fi­cation radicale de don et dĠexposition travaille nĠimporte quelle Žnonciation comme adresse, mais il nĠest pas possible de la prendre comme dŽjˆ langagire au sens de ce qui fait le grand jeu ҎquitableÓ du langage.

Tel Žtait la premire thse de cet article : nous pouvons modifier lĠatmosphre et la comprŽhension du Kampfplatz en dŽnonant la valeur communŽment admise pour le langage de lieu total, inesquivable, obsŽdant, non relativisable. Le faire nous permet de mieux arbitrer les revendications qui se croisent, et dĠintroduire la possibilitŽ dĠaccorder tout ˆ chacune sans opposer ˆ lui-mme lĠabsolu du langage en son unicitŽ.

Je passe au second moment de cette rŽflexion, celui o je vais mĠintŽresser ˆ la question du langage elle-mme. Comment sommes-nous amenŽs, aujourdĠhui, ˆ interroger le langage dans son mystre, ˆ tenter de comprendre le propre du langage comme usage, comme potentialitŽ, comme trŽsor, comme relation ? Essayons de poser la question sans le prŽsupposŽ exorbitant que le langage est tout, et nous englobe comme tel.

La question du langage

Bien entendu, nous allons devoir revenir sur les contenus ŽvoquŽs dans la premire partie, parce que le Kampfplatz du langage est notamment constituŽ par le jeu conflictuel de rŽponses ˆ la question du langage.

Comment formuler la question du langage dans le contexte de cette interfŽrence tri-disciplinaire ÒenÓ le Kampfplatz, ou, Žventuellement, depuis une sorte de position dŽcentrŽe reconnaissant, ainsi que nous lĠavons suggŽrŽ, la contingence et la particularitŽ du langage ?

Partons dĠabord de ce qui est.

La question du langage dans lĠatmosphre prŽsente

La question du langage, pour la lingui­stique, me semble assez clairement devenue la question du sens. Je ne dirai pas quĠelle lĠa toujours ŽtŽ, par exemple il ne me semble pas quĠˆ lĠŽtape saussurienne il en aille clairement ainsi : Saussure me para”t plus concernŽ par la question du signe, et du plan et du rŽgime onto­lo­gique qui lui correspondent. Ce qui, finalement, ÒdonneÓ une thŽorie de lĠorigine diffŽrentielle du sens, mais pas Žvidemment des manires systŽmatiques de dŽcrire le sens. La grammaire gŽnŽrative en revanche est bien une thŽorie du sens (le sens enveloppŽ dans les phrases des langues vernaculaires est identifiable aux structures profondes de ces phrases), la grammaire cognitive est une sŽman­tique cognitive, les thŽories interprŽtatives ou phŽno­mŽ­no­logiques de Rastier ou Cadiot-Visetti sont ouvertement des thŽories sŽman­tiques. Peut-tre ces Žvaluations sont-elles discutables, mais elles me semblent en tout cas difficilement Žvitables.

La question du langage, pour la philosophie, a ŽtŽ de faon dominante la question de la rŽfŽrence, ce qui est peu surprenant si lĠon veut bien voir que cette question est, comme celle de la perception, une modulation de la question centrale classique de la philosophie, celle de la relation de la pensŽe et de lĠtre. Dans une Žpoque de la philosophie ou la pensŽe est identifiŽe au langage, la question de la perception devient celle de la rŽfŽrence : cette Žvolution, on le sait, sĠest fait sentir en phŽnomŽnologie aussi. Mais il est observable que, vers la fin du vingtime sicle, la question de la rŽfŽrence a commencŽ de sĠinflŽchir ou de sĠinvoluer en question du sens : le destin hermŽ­neu­tique de la phŽnomŽnologie dĠune part, lĠencha”nement Quine-Davidson-Dummett dĠautre part, en portent tŽmoignage de part et dĠautre de la frontire qui divise la maison.

La question du langage pour la littŽrature, me semble, pour le peu que jĠen connais, sĠtre imposŽe comme celle du style : de lĠŽcriture, la littŽrature sĠest assumŽe comme le lieu o la pensŽe Òphilo­so­phiqueÓ englobante Òtout est langageÓ se voyait re-traduite par Òtout est variation de langageÓ. La littŽrature a donc cherchŽ des formes de variation, dĠŽvŽnementialitŽ qui puissent se concevoir comme absolument internes au langage : comme cŽlŽbrant son univoque et absolu empire. DĠo la tentation dĠexclure les fonctions reprŽsentatives, qui, lorsquĠelles supportent la variation, le devenir, paraissent lĠindexer sur le reprŽsentŽ hors langage. DĠo mme, sans doute, la volontŽ dĠaller vers un usage ou un Žtat informe du langage, parce que toutes les formes qui rŽgissent le langage (syntaxique, sŽman­tique, etc.) sont ressenties comme tyrannie Žtrangre (logique). DĠo la recherche dĠŽmotions qui soient le pur fruit des mots et du phrasŽ, et qui ne restituent pas les avatars du cÏur humain. Certes, au bout du compte, on se demande ce qui reste du langage quant on lĠa ŽvidŽ de tout ce qui lui est Žtranger : ce que peut tre le balbutiement de lĠŽvŽnement purement langagier. Cette orientation littŽraire, ˆ ce que je crois comprendre, va donc, au grŽ de la fonction scripturale, vers lĠindicible, lĠininscriptible, lĠinnommable. Mais tout cela sans l‰cher, en principe, lĠattachement concret ˆ la saveur des mots et la spŽcificitŽ des expŽriences : ce qui dŽtermine Žventuellement une sorte de profonde distensio paradoxale.

Que peut devenir la question du langage sous lĠimpulsion de la triple rŽvision ŽvoquŽe ˆ lĠinstant, dans chacune de nos disciplines ? QuĠil me soit permis de suggŽrer ici quelques possibilitŽs, formulŽes sans modestie par quelquĠun qui a le dŽfaut de sĠintŽresser ˆ tout, au point de rver un avenir pour ce qui ne le regarde pas.

Relances possibles de la question du langage

Du c™tŽ de la lingui­stique, on voit clairement appara”tre des questionnements nouveaux, que jĠai dŽjˆ ŽvoquŽs plus haut. Ceux de la relation du langage avec ce qui nĠest pas encore lui, qui est ˆ c™tŽ de lui ou qui est avant lui : ils conduisent ˆ considŽrer la gense cognitive de la symbolisation, le langage animal, lĠorigine du langage (dans lĠhominisation). Ces questionnements rencontrent la lingui­stique et la mobilisent, tout en restant, en un sens, ˆ lĠextŽrieur dĠelle : il appartient tout de mme ˆ la lingui­stique dĠassumer la responsabilitŽ du langage fait, nanti de sa pleine puissance et de sa pleine identitŽ. Cela dit, la question la plus neuve et la plus passionnante pour la linguistique contemporaine porterait ˆ mes yeux sur lĠuniversalitŽ lingui­stique, quĠil faudrait arriver ˆ prendre comme quelque chose qui ne va pas de soi, mais en quoi rŽside le mystre profond du langage. Et cette question se prŽcise nŽcessairement comme suit : peut-on mettre en Žvidence des modes ou des voies non logiques de lĠuniversalitŽ de la valeur lingui­stique ? Typiquement, je poserais cette question ˆ la sŽmantique de Cadiot et Visetti, qui prouve mieux quĠon ne lĠa jamais fait que Òles mots nĠont pas de sensÓ, en faisant fond, assez largement, sur la phŽnomŽnologie de lĠĉtre-au-monde. Pourrait-on, dans le cadre ce cette sŽman­tique, donner un r™le et un statut ˆ lĠa priori de la valeur partagŽe, qui me para”t envers et contre tout un trait inaliŽnable de la chose et de la pratique lingui­stiques ? JĠespre que cette question est assez bien formulŽe.

Du c™tŽ de la philosophie, le renouvellement de la question du langage nous vient, ˆ mes yeux, du regard lŽvinasien, dont jĠai tentŽ plus haut de dŽcrire les apports fondamentaux. La ÒthseÓ fondamentale est que le langage – comme possibilitŽ universelle dĠexpression, de mise en forme et de recueil du divers – doit tre en mme temps pensŽ comme en dette ˆ lĠŽgard de la relation et de lĠintervalle Žthiques. Cette articulation sĠopre sans doute au niveau de la question du sens, ˆ laquelle la philosophie est ÒspontanŽmentÓ arrivŽe dans sa rŽflexion sur le langage. Mais cette question est elle-mme totalement transformŽe par la nouvelle perspective. On renvoie tout faire sens ˆ lĠidŽe que le message Òdemande ˆ tre comprisÓ : tout message transmet une demande, appelle ˆ une reprise ou une relance hantŽe par lĠenjeu de ce qui est demandŽ dans cette demande. LĠinterprŽtation, dans son effort et son problme, est comprise par rapport ˆ la demande, et, donc, immŽdiatement, par rapport ˆ lĠintrigue Žthique. Mais il en va de mme de la structure logique et de la syntaxe : ces formes sont prises comme adressŽes, et comme fixant un mode de partage-ma”trise de lĠarticulŽ comme tel. La nouvelle question du langage est donc celle-ci : comment ÒremonterÓ, ˆ partir de tous les modes et de toutes les variŽtŽs du faire sens, ˆ lĠintrigue Žthique ? Comment comprendre la ÒfondationÓ de lĠordre du langage, de la logique, de la vŽritŽ, de la pensŽe, dans la strate Žthique, ds lors que cette fondation nĠest pas gŽnŽtique ou onto­lo­gique : lĠŽlŽment Žthique nous permet seulement de comprendre de quelle faon langage, logique, vŽritŽ, ontologie sont redevables ˆ lĠintrigue Žthique dans lĠordre du sens, de quelle faon ce dont il retourne en eux demande ˆ tre entendu depuis la figure Žthique de la demande. CĠest ce type de travail dont jĠai essayŽ de dŽfinir les voies et les domaines dans Sens et philosophie du sens (en dŽgageant, aussi, le programme de lĠethanalyse). Dans mes tentatives pour prolonger ces premires indications, jĠai, dĠores et dŽjˆ, rencontrŽ un autre niveau de la question du langage, absolument liŽ ˆ ce qui prŽcde : lorsquĠon cherche ˆ caractŽriser les ethos significatifs des rŽgions du sens, on sĠinterroge naturellement sur ce qui peut valoir comme attestation plausible du partage dĠun ensemble de prescriptions, dĠanticipations normatives ou rŽgulatrices en matire de pratiques, vŽcus ou mots. Mais le prototype de cela est le partage de la norme lingui­stique, bien Žvidemment : comment peut-on attester ce qui fait loi en matire de mots, phrases et textes ? Mme lĠarchi-tŽmoignage selon lequel on appartient ˆ une communautŽ lingui­stique au sein de laquelle circule une valeur peut tre interrogŽ dans sa lŽgitimitŽ. Toute explicitation de ce que chacun Òconna”t bienÓ comme la rgle du langage pose la mme sorte de problme de ÒcertificationÓ. Le langage est le lieu dĠun redoutable problme du nÏud de la lŽgitimitŽ et de la vŽritŽ.

Je mĠavance maintenant vers ce ˆ lĠŽgard de quoi je me sens le plus dŽmuni : quelle pourrait tre la ÒnouvelleÓ question du langage pour la littŽrature, ˆ une heure o le croisement des disciplines sur et en le langage ne serait plus vŽcu ou compris comme croisement sur lĠenglobant ultime et nŽcessaire du langage, une fois pour toutes sanctifiŽ comme le monde ˆ lĠŽgard duquel la relation dĠappartenance est la seule et prŽvaut ?

JĠai deux intuitions ˆ cet Žgard.

La premire est que la littŽrature fait aujourdĠhui face ˆ une sorte dĠalternative fondamentale, ou bien suscite un dŽbat radical, que rŽsumerait la disjonction Òmonstration ou explicitation exemplaireÓ. La ÒmissionÓ de la littŽrature est-elle de prŽsenter un cela (un Žpisode, une chose, une atmosphre, un mondeÉ) afin de cŽlŽbrer simplement et purement le fait que ce cela se prŽsente. En dĠautres termes, la littŽrature est-elle la liturgie de la prŽsentation, la techn exploratoire de la prŽsentation, le chant fidle de la prŽsentation ? Ou bien la littŽrature a-t-elle pour but de dire suivant quelles directions et modalitŽs typiques nous vivons quoi que ce soit que nous vivons, de tŽmoigner du caractŽristique de lĠexpŽrience humaine ? Chaque texte littŽraire Žtant une offrande pour aider chacun ˆ vivre ce quĠil y a ˆ vivre dĠune faon qui colle avec le plus humain de la possibilitŽ humaine ?

La seconde est que la question de lĠŽmotion est aujourdĠhui la question majeure concernant le langage pour la littŽrature. La littŽrature se dŽfinirait comme lĠusage du langage en vue de susciter et dĠinventer lĠŽmotion. Elle dŽvoilerait un site sentimental de la chose lingui­stique affine ˆ son site Žthique ŽvoquŽ plus haut, mais en mme temps distinct de lui. Et lĠon pourrait estimer que la t‰che de la littŽrature est de faire entendre, de faire Žprouver la sentimentalitŽ du langage : que la question des limites et de la pervasivitŽ de lĠŽmotion dans le langage est la question importante. Avec des mŽta-problmes comme : la littŽrature doit-elle, non seulement assumer cette t‰che de susciter et inventer lĠŽmotion, mais aussi la dire comme sa t‰che ?

Me contentant de ces quelques aperus, je rŽflŽchis dŽsormais ˆ la confrontation entre nos disciplines, ˆ la nŽgociation qui peut tre envisagŽe entre elles.

NŽgociation tri-disciplinaire

Comment peut-on penser aujourdĠhui la relation entre nos trois disciplines, en ce lieu quĠil sĠagit dĠoccuper sans lui appartenir au mme titre, ou plut™t sans lui appartenir exclusivement ?

Ce problme de nŽgociation peut tre envisagŽ de plusieurs faons. Il me semble que ce qui, avec lĠexpŽrience dont nous partons, vient le plus naturellement ˆ lĠesprit est le problme de lĠhybridation possible des dŽmarches : pour dire les choses rapidement, Sens et textualitŽ, de Franois Rastier, est ˆ la fois un livre de lingui­stique et un livre dĠŽtude littŽraire ; La carte postale, de Jacques Derrida, est ˆ la fois un livre de philosophie et un coup dans la littŽrature ; Formal philosophy, de Richard Montague, est ˆ la fois un livre de philosophie et un livre de lingui­stique. On peut avoir une rŽaction quiŽtiste ˆ cette indistinction : aprs tout, peu importe lĠŽtiquette, ce qui compte est le contenu. Mais il me semble quĠau bout du compte, derrire ce quiŽtisme, on trouve lĠidŽe que, de toute manire, il nĠy a quĠune seule entreprise, celle de trouver et de dire la vŽritŽ du langage, et que cette entreprise peut passer par nĠimporte quelle voie, cĠest sans importance. Donc, la vision quiŽtiste de ces hybridations est liŽe ˆ ce prŽsupposŽ – que jĠessaie de combattre, mais que nous habitons, je le reconnais – suivant lequel la vie et la pensŽe humaine sont profondŽment situŽes dans lĠappartenance au langage. En dĠautres termes, ces hybridations renverraient, dans leur principe, ˆ ce que chacun est plut™t jouŽ par le langage quĠil ne lĠinstrumentalise. Or, cela signifierait, ˆ pousser les choses jusquĠau bout, que lĠon ne thŽmatise jamais le langage. DĠo la conclusion que philosophie, littŽrature et lingui­stique seraient au fond dans la mme impuissance nŽcessaire ˆ dire la vŽritŽ du langage. Par ailleurs, cette vision quiŽtiste a aussi le dŽfaut de mŽconna”tre la diffŽrence ÒcatŽgorielleÓ Žvidente qui oppose la littŽrature en tant que performance visant ˆ quelque chose comme le beau ou le sublime, et la lingui­stique ainsi que la philosophie peut-tre en tant que sciences, visant au vrai (encore faut-il reconna”tre que cette diffŽrence sĠannule si la littŽrature est remplacŽe par lĠŽtude littŽraire).

Comme je lĠai dit plus haut, je pense que ce compte rendu quiŽtiste, enregistrant les hybridations comme non-problŽmatiques, nĠest pas honnte. Nous ne perdons en vŽritŽ jamais de vue la distinction entre les disciplines, y compris dans leur cas dĠhybridation. Au mieux, nous pouvons dans certaines conditions ranger certains segments ˆ la fois dans deux disciplines, mais lĠŽcart de perspective entre les disciplines reste compris, et cĠest mme un des arguments que jĠai utilisŽ pour soutenir que nous gardons la comprŽhension de la contingence et de la particularitŽ du langage : chacune de nos disciplines ÒconstruitÓ cette contingence et cette particularitŽ par son angle dĠattaque du langage mme, en tant quĠil rŽvle le langage ˆ c™tŽ de ou avec un autre que lui.

Un nouveau problme du lien entre nos disciplines serait donc celui des modes dĠarticulation pertinents entre elles, des faons canoniques dont elles peuvent se faire mutuellement appel. Est-il possible dĠenvisager ici un certain nombre de formes de collaboration typiques ?

— Entre philosophie et littŽrature, Husserl a dŽfini un mode de collaboration unilatŽral lorsquĠil a ŽnoncŽ que la phŽnomŽnologie pouvait et devait envisager la multi­pli­citŽ des documents de la littŽrature dans sa dŽmarche de variation eidŽtique. Ce que la phŽnomŽnologie a ˆ dire quant aux essences directrices, selon lui, ne peut se prononcer que sur fond du parcours a priori de toute la diversitŽ du possible ÒphŽno­mŽ­no­logiqueÓ, cĠest-ˆ-dire en substance du possible de la vie subjective : or la littŽrature est notamment lĠexploration dĠun tel possible. Le courant phŽno­mŽ­no­logique nĠa jamais perdu la mŽmoire de ce ÒmontageÓ husserlien (cf. lĠutilisation par Levinas de Dosto•evski, Eschyle ou Hugo). Cette articulation est-elle une fois pour toutes unilatŽrale (la phŽnomŽnologie instrumentalisant la littŽrature) ? Je ne suis pas en position de le dire, mais il me semble que dans lĠŽtude du texte littŽraire, lĠanalyse du type de prŽsentation de la vie subjective auquel on a affaire peut importer, et le dŽcoupage phŽno­mŽ­no­logique tre dĠun certain secours.

— Un autre mode dĠarticulation aujourdĠhui identifiable entre philosophie et littŽrature est celui qui tourne autour du statut de la fiction, ou de la notion de monde parallle. Ce sujet est, si lĠon veut, traitŽ ˆ la fois par la philosophie analy­tique et par un auteur comme RicÏur, en mode plut™t phŽno­mŽ­no­logique. Que des discours puissent avoir vocation ˆ ne pas dire le vrai, ˆ poser et dŽployer le fictif, cela constitue un problme philo­so­phique : on demande comment cela se peut et se fait, et quel type de validation sanctionne la fiction comme telle, par exemple. Encore une fois, je ne mesure quĠassez mal de quelle faon ce lien pourrait ne pas tre unilatŽral.

— Entre lingui­stique et littŽrature, la collaboration me semble tourner autour de deux problmes, qui correspondraient ˆ deux motifs dĠexclusion plausible entre les deux disciplines. Premirement, lĠexemple littŽraire est-il pertinent pour la thŽorisation lingui­stique ? Une certaine tradition grammaticale, encore exemplifiŽe par Chomsky, pose que lĠobjet de la science du langage est plut™t le langage commun, au titre quĠil est le seul universellement partagŽ, et quĠil est la condition de possibilitŽ du langage littŽraire. Une lingui­stique de la littŽrature, en ce cas, appara”t au mieux comme une lingui­stique spŽciale. A quoi lĠon peut rŽtorquer au contraire avec Rastier que le corpus de la lingui­stique doit toujours tre un vrai corpus, constituŽ dĠexpressions effectivement Žmises, et que, de ce point de vue, le texte littŽraire entre tout naturellement dans le champ de la considŽration : plus lŽgitimement, mme, que les exemples dĠŽcole. Et, au bout du compte, on pourrait aller jusquĠˆ supposer que ££lĠemploi le plus riche du langage est ce qui dŽvoile la chose lingui­stique dans son accomplissement. Deuximement, on peut incriminer a priori lĠanalyse lingui­stique du texte littŽraire, en prŽtendant quĠelle ne dit de ce texte que les structures banales, quĠil partage avec des textes dŽpourvus de valeur littŽraire, et donc quĠelle dŽroge a priori ˆ ce qui est la mission de lĠŽtude littŽraire : faire conna”tre et comprendre le texte dans ce qui le fait coup et rŽussite littŽraires. Je pense que la lecture par Rastier du pome Zone dĠApollinaire suffit ˆ convaincre de ce que cette objection est ˆ courte vue, mais il resterait ˆ comprendre comment et pourquoi.

— Reste ˆ parler de la nŽgociation entre lingui­stique et philosophie. Elle est devenue spŽcifiquement ardue, en raison mme de lĠinterfŽrence forte entre les disciplines. Un sympt™me est la montŽe en puissance de ce quĠon appelle Òphilosophie du langageÓ : en apparence, cela fait de la philosophie une discipline qui aurait une ÒvŽritŽ du langageÓ ˆ dire autre que celle que la lingui­stique Žnonce ÒprofessionnellementÓ. Comment cela se pourrait-il ? LĠŽquivoque se lve lorsquĠon observe que la philosophie du langage nĠest pas tellement une philosophie traitant du langage, le thŽmatisant, mais plut™t une philosophie essayant de se disposer ҈ partir du langageÓ, en raison de lĠomni-englobance reconnue au langage, ou encore de la primautŽ de lĠappartenance de lĠhomme au langage implicitement admise. De ce point de vue, le dŽcrochage que nous demandons aurait ˆ lĠŽvidence la vertu de dissiper lĠŽquivoque en question. Le r™le dĠune philosophie du langage bien comprise serait de dire en mode philo­so­phique la contingence et la particularitŽ du langage, de dire ce que le langage est, ou ce quĠil vaut, ou ce quĠil peut, qui nĠest pas tout : de dire lĠenjeu, le sens, la portŽe du langage, de dire le monde du langage dans sa diffŽrence dĠavec dĠautres mondes, etc. Et cette t‰che lˆ ne mettrait pas la philosophie du langage en compŽtition avec la lingui­stique. LĠŽpistŽmologie de la lingui­stique, entendue sŽrieusement comme une discipline qui Žtudie en tant que telles les procŽdures scienti­fiques des diverses lingui­stiques, collaborerait naturellement ˆ cette nouvelle philosophie du langage : elle Žtudierait les lingui­stiques en considŽrant le projet de conna”tre le langage comme un projet spŽcifique, non superposable ˆ celui de conna”tre la nature, elle contribuerait indirectement ˆ la ÒdiscriminationÓ du langage en Žtudiant la spŽcificitŽ des sciences du langage. Une telle ŽpistŽmologie remplirait notamment sa mission ds lors quĠelle sĠintŽresserait systŽmatiquement aux modes dĠobjectivation du langage, comme cĠest la mission dĠune ŽpistŽmologie kantienne, et montrerait la forte diffŽrence de cette objectivation dĠavec celle que motive la Òmatire en mouvementÓ, pour reprendre les mots kantiens.

— Un point qui est clairement en dŽbat est celui de la relation du langage ˆ lĠontologie. Les constructions lingui­stiques ont tendance ˆ prendre pour repre ou pour critre ultime quelque chose qui autonomise le langage en tant que couche onto­lo­gique. Saussure souligne ˆ la fois lĠexceptionnalitŽ du principe de la valeur diffŽrentielle et la position mixte entre lĠintelligible et le sensible de ce quĠil Žlit comme lĠobjet par excellence de la lingui­stique, le signe. Chomsky fonde toute sa thŽorie de la grammaticalitŽ sur les relations de constituance, au titre desquelles certaines unitŽs lingui­stiques forment groupe : la structure grammaticale, en dernire analyse, nĠest pas autre chose que le systme de ces solidaritŽs. Mais celles-ci sont totalement internes au plan du langage, nĠont aucune dŽpendance ˆ lĠŽgard de rien dĠŽtranger ou dĠexterne. Contre cette tendance – Žvidemment comprŽhensible puisquĠelle est la tendance propre ˆ toute science ˆ se constituer en ontologie rŽgionale, la philosophie a le plus souvent mis en avant le lien du langage avec le monde (la rŽfŽrence) et le lien du langage avec la pensŽe (la conceptualitŽ) comme ÒexpliquantÓ ou Òcontr™lantÓ ˆ certains Žgards le langage. Franois Rastier lutte pied ˆ pied contre ce quĠil ressent comme un ÒrŽductionnismeÓ philo­so­phique : le signe, selon lui, nĠest pas ˆ entendre selon ce quĠil dŽnote ou ce quĠil exprime, mais selon ce quĠil vaut diffŽrentiellement ˆ c™tŽ des autres signes. Exemple de cette altercation : ˆ Benveniste analysant les catŽgories aristotŽliciennes comme pur reflet de la grammaire grecque, Derrida rŽpond que les catŽgories en question sĠintroduisent et se dŽduisent suivant le fil dĠune question de lĠĉtre que le linguiste ne partage pas (il lui objecte aussi, sur un mode ÒchaudronnierÓ que son objection est dŽjˆ formulŽe par les philosophes)[5] ; Rastier, dans un article que jĠaime beaucoup[6], propose une dŽrivation littŽraire de la philosophie ˆ partir des Ògrammmes liŽsÓ, cĠest-ˆ-dire, si lĠon va au bout des choses, une rŽduction ˆ la fois littŽraire et lingui­stique de la philosophie.

Notre t‰che, dans une telle configuration, nĠest pas aisŽe. JĠai tendance ˆ penser que la rŽfŽrence et lĠarticulation de la pensŽe ne sont pas des fonctions annexes du langage, quĠelles participent de sa disposition profonde, que lĠon ne peut pas les considŽrer comme des prestations secondes et contingentes de la langue et de la parole. Mais je ne veux pas soutenir cette position au point de revenir ˆ une indistinction langage-monde-pensŽe qui est prŽcisŽment le mirage de lĠomni-englobance et de la religion dĠappartenance dont je veux nous libŽrer. Je souhaite donc trouver des faons de comprendre de faon radicale et forte comment et pourquoi le langage dŽpeint une rŽalitŽ et comment et pourquoi le langage accomplit une pensŽe sans cŽder sur la contingence et la particularitŽ du langage. Or, justement, tout lĠeffort de la lingui­stique pour circonscrire la formule de son ontologie rŽgionale a le mŽrite de mettre en relief cette contingence et cette particularitŽ, de nous sauver du ÒlangagismeÓ. Tel est donc lĠobjet et lĠhorizon de la ÒnŽgociationÓ pour moi : partir dĠune spŽcification autonome du langage pour ÒreconstruireÓ les fonctions auxquelles la philosophie est tellement attachŽe. Il est Žvidemment besoin, pour un tel but, ˆ la fois dĠune bonne comprŽhension de la pensŽe et de la rŽfŽrence – pour laquelle les lumires de la philosophie sont souhaitŽes – et dĠune bonne comprŽhension de la ÒschizeÓ objective du langage et de la spŽcificitŽ des procŽdures lingui­stiques – pour laquelle les lumires de la lingui­stique sont requises.



[1]. Cf. Cadiot, O., & Visetti, Y.-M., 2001, Pour une thŽorie des formes sŽmantiques, Paris, PUF.

[2]. Cf. Ricoeur, P., 1990, Soi-mme comme un autre, Paris, Le Seuil, 156-166.

[3]. Cf. son intervention Ç MmetŽ, ipsŽitŽ et puzzling cases : o en est le Òcorps propreÓ en science-fiction ? È au colloque Que prouve la science-fiction ?, organisŽ par E. Barot et P. Cassou-Nogues ˆ Lille en Avril 2005.

[4]. JĠemprunte ˆ Sylvie Allouche et ˆ Elie During cet exemple en leur faisant confiance.

[5]. Cf. Derrida, J., 1972, Marges, Paris, Minuit, 214-226

[6]. Cf. Rastier, F., 2001, Ç LĠĉtre naquit dans le langage – Un aspect de la mimsis philosophique È, in Methodos, nĦ 1, La philosophie et ses textes, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 101-130.